En cette matinée de novembre, une pluie glaciale vient de s'abattre sur le camp. Les habitants se terrent dans les quelque 300 petits chalets chauffés au pétrole et des pelleteuses s'activent pour refaire le système de drainage, dont la défaillance a provoqué la formation de larges et profondes flaques dans les allées.
Dans l'après-midi, une quinzaine de mineurs isolés échapperont à cet "enfer de pluie" en prenant un car à destination d'un Centre d'accueil et d'orientation dédié (CAOMI), se réjouit le directeur du camp Hervé Desvergne, de l'association gestionnaire Afeji, désignée par l'Etat.
D'une capacité initiale de 1.500 places en mars, le camp était descendu à 724 migrants début octobre, mais en avait accueilli environ 350 supplémentaires fuyant la "Jungle" de Calais à l'approche du démantèlement, selon le maire écologiste de Grande-Synthe, Damien Carême.
En fin de semaine dernière, il est à nouveau repassé sous la barre du millier, à 960, à la faveur d'une quarantaine de départs en CAO au cours du mois écoulé et des tentatives de passage en Angleterre.
"Il ne faut pas appréhender le camp à partir d'une logique de comptage", pointe auprès de l'AFP le préfet du Nord Michel Lalande, se voulant prudent malgré cette évolution à la baisse.
"On n'a pas d'objectifs, on laisse les choses se faire et l'Etat ne nous fixe aucune échéance de fermeture", confie Damien Carême à l'AFP. Seule ligne directrice, "retirer les chalets au fil des départs", affirme Hervé Desvergne. Et ne plus accueillir de migrants supplémentaires, même femmes et enfants.
"Le camp était une solution originale, à l'initiative du maire puis avec le soutien financier de l'Etat", reconnaît Michel Lalande, avant d'avertir: "On n'a pas vocation à fixer à Grande-Synthe cette population migrante pour les siècles des siècles. Le modèle a ses limites".
La principale concerne les passeurs. Au camp dit "de la Linière" viennent en majorité des Kurdes irakiens orientés en effet par les passeurs, qu'ils sont suffisamment riches pour payer.
Trafic de bracelets
Le camp est d'ailleurs régulièrement le théâtre de règlements de compte entre bandes rivales, comme le 7 novembre, lorsque le frère d'un passeur avait été lardé de neuf coups de couteau, relate Amélie Le Sant, substitut du procureur de Dunkerque, à l'AFP.
"Même les travailleurs sociaux ne comprennent pas toujours le sens de leur mission dans un tel contexte", souligne le directeur, expliquant qu'un psychologue est attendu pour leur venir en aide.
La lutte contre les passeurs, une priorité du gouvernement, rencontre ici de fortes résistances, vectrices de violences supplémentaires. "Lorsque Pacha et Cara (deux chefs de bande, ndlr) ont été interpellés en septembre, il y a eu une émeute et des cailloux ont été jetés sur les forces de l'ordre", raconte Amélie Le Sant.
Cinq migrants ont écopé de jusqu'à trois ans de prison ferme, et les passeurs de quatre et cinq ans, fruit d'"une politique d'extrême fermeté" adoptée par le parquet. Depuis septembre 2015, une dizaine de filières ont été démantelées dans le Dunkerquois.
Après l'exploitation de commerces illégaux et l'extorsion d'argent pour l'accès aux douches, les passeurs, toujours à l'affût de nouvelles opportunités de profit, se sont lancés dans le trafic des bracelets donnant accès au camp, monnayés entre 50 et 100 euros.
"Quelque part l'Etat, en sécurisant la frontière, fait monter les prix. Si on veut stopper les passeurs, il suffit d'ouvrir la frontière avec l'Angleterre", avance Christian Salomé, président de l'Auberge des migrants, qui fournit au camp des milliers de repas chaque semaine.
Côté positif, la substitut du procureur relève qu'avec cette présence de passeurs, les migrants n'ont pas besoin de risquer leur vie sur l'autoroute, par conséquent ils "sortent peu, donc il y a peu d'infractions de droit commun".
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