"Nous avons tous perdu notre maison, nos enfants n'ont plus de vêtements pour se changer", se désole Marie-Merlande Nicolas, 32 ans, mère de trois enfants. "Si Gabriel ne peut pas nous retirer de cet abri avec dignité, il n'y aura pas d'élections: c'est la mairie qui est venue nous mettre ici avant le mauvais temps".
Le Gabriel qui concentre toute la colère des 181 familles regroupées malgré elles dans le lycée Jean-Claudy Museau, c'est Gabriel Fortuné, le maire de la troisième ville d'Haïti.
La veille, il a fait évacuer manu militari un autre établissement scolaire qui servait d'abri aux sinistrés.
"Oui j'ai demandé aux forces de l'ordre et au parquet de faire évacuer les abris: je n'appelle pas ça une solution, c'est un vrai dilemme car ces familles n'ont pas de solution viable, mais elles peuvent compter sur leurs proches", essaie de se justifier le maire des Cayes, joint au téléphone par l'AFP.
Que des familles sans ressources aient été mises à la rue par des policiers utilisant matraques et grenades lacrymogènes ne choque pas vraiment l'élu: "ça se passe comme ça dans tous les pays: j'ai vu ça récemment à la télé en France avec les réfugiés, et aussi en Allemagne. Et ce sont là des gouvernements qui disposent de moyens", se dédouane Gabriel Fortuné.
Evictions forcées
Face à la violence policière, les sinistrés réfugiés au lycée Museau ont réussi à rester dans leur abri de fortune: la présence parmi eux d'une trentaine de personnes handicapées leur a permis d'éviter l'éviction.
Canne blanche en main, Dusnel Fontaine enrage contre le traitement que les autorités leur infligent et cela n'a fait que renforcer son dégoût de la vie politique.
"On ne croit pas aux élections car, quand on vote, rien de sérieux n'arrive", peste l'homme, aveugle de naissance. "Regardez, on avait voté pour Gabriel et il nous envoie du gaz ! Alors non, on ne va pas voter ni dimanche ni un autre jour car on ne veut plus voter pour des voleurs".
Le sort des milliers de sinistrés de l'ouragan préoccupe la communauté internationale et les évictions forcées, menées par les élus locaux en contradiction avec la politique nationale, sont inacceptables pour les membres d'agences de l'ONU présents dans la cour du lycée.
"La nécessité d'avoir des centres de votes peut être résolue de différentes façons et pas uniquement en délogeant des gens: nous avons un stock de tentes", assure Mourad Wahba, le coordonnateur humanitaire de la Minustah, la mission des Nations Unies présente en Haïti depuis 2004.
Près de 175.000 personnes ont perdu leur logement à cause de l'ouragan Matthew début octobre et l'occupation de bâtiments publics par plusieurs centaines d'entre elles est une problématique qui dépasse le simple agenda électoral.
Perdu foi en l'Etat
Devant la barrière d'entrée du lycée Museau, des dizaines d'élèves manifestent leur mécontentement en bloquant la route nationale.
"On veut retourner à l'école et tant qu'on ne pourra pas on restera dans la rue", hurle Joseph David, élève en classe de philo, l'équivalent haïtien de la terminale.
La petite manifestation ayant totalement paralysé la circulation à l'entrée de la ville, le commissaire du gouvernement (procureur) Yvon Pradel s'est déplacé pour faire la médiation: "Je ne peux pas accepter que les élèves soient dans la rue comme ça chaque jour. Mon travail est de m'assurer qu'il y ait un climat de calme pendant la période électorale", explique-t-il à la délégation de lycéens.
Devant l'insistance des jeunes pour obtenir une date précise pour la reprise de leurs cours, Mourad Wahba se permet de leur rappeler la gravité de la situation.
"Tous ces gens sont des êtres humains, ils ont des droits: ce sont vos frères, vos soeurs. Si vous voulez les mettre dehors, allez les regarder droit dans les yeux et allez leur dire", leur explique-t-il d'une voix calme.
Suivant les conseils appuyés de M. Pradel, les lycéens s'en vont, sans rencontrer les familles sinistrées qui, à quelques mètres, ont totalement perdu foi en l'Etat et fulminent à chaque réception d'un SMS d'un candidat les appelant à voter dimanche.
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