Quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) assurent la dissuasion nucléaire française - outre les bombardiers stratégiques -, se relayant selon une feuille de route secrète.
Pour les 110 membres d'équipage du sous-marin Vigilant, un long huis clos commence dès que l'imposante silhouette quitte son port d'attache de l'Ile Longue à l'ouest de la France.
D'ultimes tests en surface, puis vient l'affirmation: "Bâtiment paré à plonger !", annonce un officier au commandement rassemblé dans le Central opérations, entre périscope et écrans sonar.
La concentration est maximale. "Alerte 23 mètres... début de plongée!". Le barreur appuie sur son manche, l'écume de la mer claque une dernière fois sur la coque. Le submersible plonge avec ses 16 missiles stratégiques, soit 1.000 fois la bombe utilisée à Hiroshima.
"Bâtiment étanche à 38 mètres". Le sous-marin a passé l'épreuve de l'eau. La patrouille commence, par plus de 300 mètres. A quelle profondeur exactement ? Secret Défense. Tout comme l'identité des membres d'équipage.
"On se dilue dans l'océan. Personne ne doit savoir où on est", résume le commandant Cyril de Jaurias, 45 ans et plus de 20.000 heures de plongée derrière lui.
Et si un jour ?
Celui qu'on appelle le pacha - une tradition française pour les commandants de navires - est le seul détenteur, avec son second, du code présidentiel de mise à feu.
"Mon autorité, je la reçois du président de la République et de lui seul. Il peut donner un ordre à moi et à moi seulement", relève-t-il.
Pour se préparer à cette mission improbable - la dissuasion vise à bannir le feu nucléaire sous la menace d'une riposte tout aussi destructrice - l'équipage simule régulièrement des tirs.
Sur les écrans, chaque ouverture de tube, chaque départ de missile apparaît alors, crûment. A cet instant précis, l'apocalypse semble à portée de main.
"Il faut que chacun se pose la question +et si un jour on devait tirer ?+. Si je ne suis pas capable d'aller au bout, j'arrêterai. Quelqu'un qui répondrait +non+ n'a rien à faire ici", concède dans le poste missiles le marin William (par sécurité, les marins ne donnent que leur prénom).
Au quotidien, les hommes du Vigilant - les premières femmes ne seront admises qu'en 2017 en France à bord des sous-marins - doivent aussi apprendre à vivre en autarcie complète, sans nouvelles des leurs, ou presque.
Ils ont droit à un message familial par semaine, 40 mots tout au plus, d'où toute mauvaise nouvelle est bannie. "C'est lu et relu avant de nous arriver", confirme Thomas, 35 ans, boulangier-pâtissier à bord.
Horloge biologique
Les marins ne peuvent rien communiquer en retour. Silence radio complet. "Je dis à ma femme +quand tu n'entends plus parler de moi, tu comptes 70 jours, la fin de la mission devrait être par là+", explique le commandant en second, Philippe.
Catastrophes, drames familiaux, rien ne filtre afin de ne pas déstabiliser l'équipage. En janvier 2015, le pacha n'annonça que trois semaines plus tard à ses hommes la triple attaque jihadiste ayant touché Paris.
Pour gommer toute trace acoustique, véritable signature du sous-marin dans l'eau, chaque bruit est traqué, neutralisé, amorti.
Les 700 tonnes de turbines, pompes et autres équipements dont le puissant ronronnement pourrait être repéré de loin, sont montés sur des suspensions qui permettent d'absorber les vibrations.
Le rituel des poubelles est aussi réglé. Tout ce qui est biodégradable est rejeté à la mer, via un sas spécial. "Il faut tourner tout doucement la manivelle. Souvent je leur dis de tourner moins vite", raconte Philippe.
Dans l'obscurité abyssale, le sous-marin vit à l'heure de Greenwich (GMT) avec petit-déjeuners, déjeuners et dîners calés sur les habitudes françaises.
"Malgré le manque de lumière, l'horloge biologique continue de tourner. Ce qui l'entraîne, ce sont des marqueurs sociaux forts comme manger trois fois par jour", souligne le médecin du bord, Gautier. La bonne chère est de mise. Vins de Bordeaux, viandes rouges, fruits exotiques ou petits fours, rien n'est laissé au hasard, surtout le dimanche.
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