Alors que l'EI recule sur le terrain, le retour des jihadistes d'Irak et de Syrie doit être "la principale préoccupation" en matière de sécurité des "cinq, des dix prochaines années", a martelé lundi le Premier ministre Manuel Valls. Et les services antiterroristes redoutent que ces mineurs - enrôlés de force ou avec la bénédiction de leurs parents jihadistes - deviennent de "véritables bombes à retardement", selon les mots du procureur de Paris François Molins.
"Depuis plusieurs mois, la propagande de l'EI accentue ses efforts en faveur du recrutement d'enfants combattants en publiant sur internet des vidéos mettant en scène de très jeunes soldats combattants", estime le renseignement intérieur français dans une note récente. En mettant en avant ses "lionceaux du califat", l'organisation jihadiste veut montrer sa capacité "à accueillir et à former, aussi bien religieusement que militairement, la progéniture" de ses membres mais aussi "envoyer un message aux pays occidentaux" pour démontrer sa "pérennité".
Des centaines d'enfants élevés dans les camps d'entraînement et les écoles coraniques, on connaît le visage de Younes Abaaoud, petit frère d'un coordinateur des attentats du 13-Novembre, ou celui, impassible, du neveu du tueur de Toulouse et Montauban Mohamed Merah, 12 ans, lorsqu'il exécute un otage avec un pistolet.
Soucieux de détourner l'attention de ses revers militaires, l'EI fait désormais endosser le rôle du bourreau à des préadolescents. Emblématique de cette propagande, cette vidéo de juillet 2015 dans le théâtre de Palmyre où 25 mineurs exécutent des prisonniers.
'On était Daech'
Pour le think tank britannique Quilliam, spécialisé dans la déradicalisation, "il ne s'agit pas seulement d'une armée ou d'un instrument de propagande mais de créer une génération entièrement nouvelle".
"Les camps d'entraînement de Daech sont des machines à broyer les corps d'enfants et leur conscience naissante, jusqu'à ce qu'ils oublient d'où ils viennent" et "se sentent proches des bourreaux et de leurs idées, et prêts à combattre pour eux à la vie à la mort", affirme le Père Patrick Desbois, qui a recueilli le témoignage d'enfants yézidis enrôlés de force par l'EI.
Dans son livre "La fabrique des terroristes" (Fayard), ce prêtre catholique français décrit le quotidien ultraviolent de Jotiar, Schvan et Diar, âgés de 9, 14 et 15 ans, "avant tout victimes mais aussi des apprentis terroristes au libre arbitre éventré".
Sans "une minute de libre", "ils doivent se lever très tôt, suivent l'enseignement coranique puis sont formés à résister aux coups et par spécialisation (attaques à la kalachnikov, sniper, poseur de bombe et kamikaze)", raconte à l'AFP le père Desbois.
Les petits combattants "ont tous une ceinture d'explosifs, adaptée à leur taille, une kalachnikov et des grenades", ajoute-t-il.
"On ne sentait rien. On sentait qu'on était Daech", lui a expliqué Diar. Car, souligne le prêtre, les enfants sont contraints de se droguer, "un complément bien moderne au processus de conversion, un engrais chimique pour que la greffe prenne".
'Impérieuse vertu de protéger'
Pour l'instant, l'EI empêche les jihadistes de quitter ses rangs. Seules des femmes et des enfants rentrent au compte-gouttes en Europe, à l'instar des quatre "épouses" françaises du jihadiste Kevin Guiavarch et leurs six enfants en bas âge récemment expulsés de Turquie. Deux ont été placées en garde à vue lundi et deux autres sont déjà mises en examen. Tous les enfants ont été placés.
A ce jour, les services estiment à 400, en terre de jihad irako-syrienne, les enfants de parents français ou partis de France, dont au moins 19 identifiés comme combattants. Trois au moins sont morts au combat.
"La loi prévoit de privilégier l'approche éducative avec les mineurs. Quand on peut le faire, on le fait. Mais pour certains, l'emprisonnement s'impose", avait expliqué en septembre au Monde le procureur Molins. "Lorsqu'on tombe sur des individus imprégnés par cette idéologie mortifère, les maintenir enfermés n'est peut-être pas la mission la plus noble, elle a au moins l'impérieuse vertu de protéger la société."
Avocat de plusieurs mineurs mis en cause dans des dossiers terroristes, Bruno Vinay déplore "cette volonté du tout sécuritaire" avec des "juges qui ne veulent prendre aucun risque", "plutôt que de trouver des solutions éducatives". "Or la prison ne réglera pas leur déviance idéologique mais peut leur donner une légitimité et un terrain de jeu pour l'épanouissement de leur idéologie", dit-il à l'AFP.
En mai, le patron du renseignement intérieur Patrick Calvar avait insisté sur la nécessité de "s'occuper" de ces enfants. "C'est un problème de société", estime un haut responsable antiterroriste, "si l'on pense qu'on réglera le problème par une réponse sécuritaire, on se trompe lourdement".
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