"Petit Pays" de Gaël Faye, "L'autre qu'on adorait" de Catherine Cusset ou "Cannibales" de Régis Jauffret font partie des ouvrages "en noir" qui doivent être embossés cette année dans le petit local du Centre de transcription et d'édition en braille (CTEB).
Fondée en 1989 au sein de l'université Paul-Sabatier par la chercheuse Monique Truquet, l'association transcrit des journaux, des relevés bancaires et certains des 560 ouvrages de la rentrée littéraire 2016, en particulier ceux sélectionnés pour les prix qui se bousculent en novembre.
Le centre propose un catalogue en ligne de 1.300 titres et 80 nouveautés par an. "Pour produire un livre, il faut qu'on puisse le vendre en 10 exemplaires", précise Adeline Coursant, présidente de la structure, qui résume: un "polar à 15 euros" coûte "450 euros" à transcrire: "personne ne peut s'acheter ça. Le barème ici va de 8 à 61 euros pour les particuliers".
Aidée par des subventions, l'association s'attache à promouvoir le braille, utilisé par quelques milliers de personnes en France sur 1,7 million de personnes souffrant d'un handicap visuel.
"Il y a parfois des gens qui prétendent qu'on pourrait se passer du braille, je prétends haut et fort que non, c'est comme si vous ne saviez pas lire ou écrire", martèle Jean Frontin, vice-président du CTEB.
Le CTEB fait partie des 106 organismes de l'édition "adaptée" en France, qui transforment les livres scolaires, romans, essais, notices en braille papier mais aussi en braille numérique, en lecture audio ou grands caractères. Les titres sont ensuite vendus ou mis à disposition dans les bibliothèques et plateformes en ligne.
Depuis 2006, la loi leur donne droit à une exception aux droits d'auteurs. Sur demande, les éditeurs transmettent les fichiers numériques à la Bibliothèque nationale de France (BNF), qui rassemble chaque année plus de documents sur la plateforme "Platon".
'10% de l'offre globale'
Pour la rentrée littéraire, le Syndicat national de l'édition (SNE) et la BNF mènent depuis 2013 une initiative financée par le Centre national du livre (CNL) qui a permis, cet été, de préparer à l'édition 317 titres, transmis par 76 éditeurs. Plus de 80% des titres sélectionnés pour les prix littéraires en font partie.
"C'est un progrès [...] parce qu'on réussit à rendre accessibles dans des délais courts un nombre important d'ouvrages. Mais sur le nombre total de livres, on ne progresse pas beaucoup", déplore Alex Bernier, président de l'association BrailleNet.
L'offre globale adaptée ne représente que 10% des références disponibles en France, selon le ministère de la Culture.
Un article de la loi sur la liberté de création, adoptée en juin 2016 mais dont les décrets ne sont pas encore parus, doit faciliter l'adaptation, ajoute-t-on au ministère.
Pour Vincent Michel, président de la Fédération des aveugles de France, il y a toujours une "discrimination par rapport à l'accès au livre et au savoir".
"Pour le roman, c'est bien, on a rapidement le Goncourt, le Renaudot", précise-t-il, mais "il y a aussi tout ce qui concerne les sciences humaines, les livres des grands historiens..."
Son association porte, aux côtés du CTEB et de BrailleNet, un projet de plateforme pour la transcription de livres à la demande, dans tous les formats, dans un délai raisonnable et au prix du marché.
Les ouvrages scientifiques, techniques et universitaires sont plus complexes à adapter et donc plus rares, indiquent les associations.
"C'est évident qu'on est toujours en deçà de l'offre commerciale", estime Zoubeïda Moulfi, documentaliste à l'Institut national des jeunes aveugles (INJA), qui précise qu'un nouveau format numérique devrait permettre aux éditeurs d'adapter directement les titres.
Les nouveaux outils numériques sont en train de se "démocratiser", confirme Luc Maumet, responsable de la médiathèque Valentin Haüy, mais ils restent pour l'instant "beaucoup trop complexes" pour la majorité des déficients visuels, dont beaucoup sont âgés, estime-t-il.
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