Ce prêtre catholique de 61 ans au verbe direct et chaleureux, peu à cheval sur l'étiquette, troque volontiers le col romain pour l'habit civil.
Son quotidien n'est pas commun pour un ecclésiastique, avec des séjours répétés dans les camps de réfugiés du Kurdistan irakien. Là, avec un ex-policier rom, Nastasie Costel, il a interviewé 110 rescapés des exactions visant les Yézidis, minorité kurdophone confessant une foi préislamique.
Les deux enquêteurs viennent d'en tirer la substance d'un livre, "La Fabrique des terroristes" (Fayard), écho au sort tragique d'hommes assassinés, de femmes réduites à l'esclavage sexuel, d'enfants drogués et enrôlés comme futurs soldats... L'Onu estime qu'environ 3.200 Yézidis restent aux mains de l'EI.
Comment un ancien professeur de maths bourguignon s'est-il retrouvé à documenter les horreurs du jihad irako-syrien ?
Au commencement, il y a les silences de Claudius Desbois, ancien prisonnier du Stalag 325 de Rawa Ruska (Ukraine), "camp de la soif et de la mort lente" selon Churchill.
"Je demandais à mon grand-père: +pourquoi tu ne parles pas, tu as tué des gens? Non, me répondait-il, j'étais dans un camp, où on n'avait ni à manger ni à boire. Et en dehors du camp, c'était pire+. Une énigme", confie le père Desbois à l'AFP.
"Le hasard ou la providence, tout dépend comment on le voit, s'en est mêlé", poursuit le prêtre, ordonné en 1986 dans la communauté du Prado. Lors de voyages entre Pologne et Ukraine, Patrick Desbois comprend que son aïeul "avait été déporté dans une région à forte population juive" et que des assassinats de masse y avaient été perpétrés.
Apprenant l'hébreu, sensibilisé à la lutte contre l'antisémitisme, le prêtre devient en 1999 - et jusqu'à l'été dernier - directeur du service de l'Eglise de France pour les relations avec le judaïsme. Cinq ans plus tard, avec la bénédiction du cardinal Lustiger et de responsables juifs, il fonde l'association Yahad In Unum (ensemble, en hébreu comme en latin) pour mieux faire connaître la "Shoah par balles" menée par les Einsatzgruppen nazis en Union soviétique.
Depuis, le collectif international, qui compte aujourd'hui 25 collaborateurs (chercheurs, traducteurs, vidéastes...), a répertorié plus de 1.900 sites d'exécutions et filmé près de 5.000 témoignages.
Matière pour la justice
"Je pense que le modèle des Einsatzgruppen est le prototype des massacres actuels", dit le père Desbois. "Avec Auschwitz, on croyait que les génocides étaient entrés dans l'ère de la modernité industrielle. Mais qui dit camp dit traces, mémoire, photos... L'archaïsme est redevenu la norme pour échapper à la justice, à la mémoire martyre".
Ainsi de la persécution des Yézidis, que le prêtre a en ligne de mire depuis une rencontre, là encore presque fortuite. Quelques mots échangés dans un salon de Molenbeek (Belgique) avec un jeune barbier issu de cette minorité. Le père Desbois pressent qu'il tient là un nouveau terrain d'enquête, après les tueries de l'Est européen et les massacres au Guatemala.
L'EI a appliqué début août 2014 "une méthodologie particulière, disloquant les familles dès l'arrestation", et s'abattant sur femmes, hommes, enfants. "On focalise sur les filles, mais tout le monde est martyr", souligne le père Desbois.
Son équipe réunit une matière "disponible pour la justice" internationale. "Nous sommes dans une démarche scientifique. Le père Desbois du début, avec ses petites caméras, c'est fini", assure le prêtre, même s'il dit être resté l'enfant né dans une "famille simple, sans grande théorie", qu'il était. Critiqué hier par certains historiens pour sa méthodologie et sa communication sur la "Shoah par balles", le président de Yahad in Unum ne rejette pas les polémiques: "parfois elles nous aident à être plus précis".
Comment tenir face à des témoignages éprouvants? "Par la prière et la solitude", répond le père Desbois. Et la contemplation des petites victoires, au contact d'évadés "qui ne sont pas les esclaves" voulus par l'EI, mais des "êtres humains" pleins de dignité.
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