Le 26 septembre, quand les surveillants ont ouvert les 90 cellules du bâtiment E et confié les clés à leurs 184 occupants, la directrice de l'établissement de Seine-Saint-Denis avoue "avoir eu quelques sueurs".
Le projet "Respecto", inspiré de programmes menés en Espagne et à la prison de Mont-de-Marsan, Léa Poplin l'avait en tête depuis des années. Son principe : un contrat qui offre des "avantages" aux détenus (cellules ouvertes en journée, accès libre aux douches et au terrain de sport en soirée...) en échange d'"obligations" (lever à 7h30, cours d'éducation civique, ménage...). Sa finalité : faire baisser les violences et les incivilités qui "gangrènent" l'institution pénitentiaire.
"Quand j'ai dit que je voulais faire ça à Villepinte, on m'a prise pour une dingue et une kamikaze", sourit la jeune femme. Il faut dire que, passées les cinq lourdes portes de l'établissement, le tableau est loin d'être rose : 1.082 détenus pour 587 places, moyenne d'âge inférieure à 30 ans, public de Seine-Saint-Denis "peu commode", mêlant prévenus criminels et détenus qui en sont parfois à leur cinquième séjour.
A l'entrée du bâtiment E, l'odeur de javel se mêle à celle de la peinture fraîche. Rose fluo, orange ou jaune ont remplacé le gris : "Toute la philosophie change, jusqu'à la couleur des murs", résume Léa Poplin.
Dans les couloirs, un ballet de jeunes hommes en jogging, clé autour du cou. Certains sortent d'un atelier sur les métiers qui recrutent, d'autres rejoignent leurs "collègues" sur le terrain de sport pour une partie de basket ou une séance de musculation.
Entre deux tractions, Karim, en attente de jugement depuis 10 mois, raconte "l'animosité" disparue. "Ca n'a plus rien à voir. Surtout, il y a une meilleure entente avec les surveillants : on ne les voit plus comme ceux qui nous refusent une douche ou ferment la porte", décrit le jeune homme de 29 ans, auparavant enfermé 22 heures par jour.
- 'Tolérance zéro' -
Sourire en coin, un surveillant confirme: "Vous voyez l'enfer? Vous voyez le paradis? Je suis passé de l'un à l'autre". Les jeunes de son ancien bâtiment, il les appelait les "gremlins". "Ingérables". "Maintenant, ils veulent venir : regardez-les, collés aux fenêtres, ils nous voient sur le terrain et ils ont les boules".
En trois semaines, la liste d'attente est passée de 20 à plus de 100 noms. La directrice assure que, par ricochet, la violence a baissé dans tout l'établissement : pour intégrer "Respecto" - dont les "détenus particulièrement surveillés" et les prévenus de faits de terrorisme sont exclus - les prétendants ne doivent pas avoir commis d'"incident grave" dans les deux mois écoulés.
"Tout le monde joue le jeu. On a une clé, mais on sait qu'on a une épée de Damoclès au-dessus de la tête", explique Rani.
La première semaine, neuf ont été exclus pour "détention d'objets illicites" et incivilités. "Tolérance zéro", prévient la directrice, qui a aussi mis en place un système de bons et de mauvais points, avec parloirs améliorés et colis de nourriture en guise de carottes.
"L'idée n'est pas de faire de l'occupationnel, mais de préparer la sortie", insiste Marie-Rolande Martins, directrice du service pénitentiaire d'insertion et de probation de Seine-Saint-Denis. "Ce sont des gens immatures, qui passent leur temps dans les cages d'escalier et doivent apprendre à remplir leur vie autrement que par la délinquance" mais aussi "à s'affirmer pour savoir dire non", poursuit-elle, évoquant notamment la radicalisation.
Face à ce tableau presque idyllique, quid des détenus et autres surveillants cantonnés "en enfer", dans les autres bâtiments?
"Il n'est pas question de concentrer les moutons d'un côté et les terreurs de l'autre", assure la directrice. Si l'expérimentation est entérinée, elle réfléchit toutefois à mixer les équipes. Afin que d'autres surveillants aient accès au "paradis".
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