Le "Nikolaï Filchenkov" s'avance majestueusement à travers le détroit turc, emprunté chaque mois par des dizaines de bateaux russes qui forment une chaîne d'approvisionnement logistique destinée à soutenir les forces de Moscou en Syrie, informellement baptisée "Syria Express".
Le passage de ces navires dans le Bosphore, qui sépare les deux rives densément urbanisées d'Istanbul, offre une occasion unique d'observer de près ces bâtiments de guerre habituellement si discrets.
A travers l'objectif de son appareil photo, M. Isik observe la progression du vaisseau. Un large sourire illumine son visage lorsqu'il se rapproche: "Regardez, quelqu'un sur le bateau me salue!", s'enthousiasme-t-il, en désignant les militaires sur le pont.
"Les capitaines russes connaissent vraiment bien leur métier", ajoute-t-il, admiratif.
Chaque passage fait les délices d'un groupe de "chasseurs de navires", amateurs très bien informés dont fait partie M. Isik, qui partagent leurs plus belles images sur les réseaux sociaux.
Leur activité a eu un retentissement majeur en décembre après la publication de photos, prises par plusieurs de ces amateurs, montrant un soldat russe en train d'épauler ostensiblement un lance-missiles sol-air à bord d'un autre navire, le "César Kunikov".
Ankara avait dénoncé une "provocation" de Moscou, en pleine crise entre la Turquie et la Russie après la destruction d'un avion russe par la chasse turque à la frontière turco-syrienne.
- Site 'exceptionnel' -
Cependant, même au faîte de la dernière crise entre Ankara et Moscou, les navires russes ont continué de traverser les détroits. La convention de Montreux, signée en 1936, sanctuarise la libre circulation à travers le Bosphore et les Dardanelles des navires de tous les pays, sauf ceux qui sont en guerre avec la Turquie.
Posté près de l'ancienne forteresse ottomane de Rumeli Hisari, à un niveau où le Bosphore est particulièrement étroit, M. Isik peut pleinement assouvir sa passion: C'est "un endroit exceptionnel qui traverse une ville gigantesque, un passage étroit que tous les navires doivent emprunter: il n'y a pas d'alternative".
Il sait, grâce à ses contacts et aux informations glanées sur les réseaux sociaux, que le "Nikolaï Filchenkov", arrivé mardi à Istanbul, a quitté quelques jours auparavant sa base de Sébastopol, en Crimée, la péninsule annexée par la Russie en 2014.
Le navire se dirige vers la mer de Marmara. De là, il se rendra ensuite vers les Dardanelles, avant de progresser vers la Méditerranée pour rejoindre Tartous, sur la côte syrienne, où se trouve une base militaire russe.
Incollable, M. Isik sait reconnaître le type de bâtiment -un navire de débarquement de chars de classe "Tapir", en ce qui concerne le "Nikolaï Filchenkov"-, et peut donner sa date de construction, ou encore estimer le nombre de tanks qu'il transporte.
Ce spécialiste des relations internationales a fait du repérage des navires russes une passion, dont il ne tire que rarement quelques deniers.
"Ce n'est clairement pas l'activité la plus intéressante pour gagner de l'argent", sourit Alper Böler, un autre passionné.
- Loin du quotidien -
M. Böler, qui préfère photographier les silhouettes grises des navires depuis son quartier d'Usküdar, sur la rive asiatique, explique que c'est la "curiosité" qui le pousse à immortaliser ces passages depuis trois ans.
Une fois, raconte-t-il, il s'est même précipité entre deux rendez-vous professionnels pour ne pas rater le passage d'un navire.
Pour M. Isik, le flux de navires reflète l'évolution des relations internationales. Par exemple, dit-il, "la présence des navires de l'Otan ici faisait partie de l'implication de l'Europe dans les développements liés à l'Ukraine avec la Russie".
Le nombre de navires russes à destination de Tartous a considérablement augmenté ces dernières années, surtout après le début de l'intervention militaire russe en septembre 2015, avait-il remarqué.
"Nous avions prédit, dès le mois d'août de l'année dernière -en observant simplement les navires- que la Russie allait lancer une opération en Syrie".
Mais au-delà de la politique et de la guerre, chaque rencontre avec le Bosphore est pour M. Isik une occasion de souffler: "Loin des réalités de la vie quotidienne, de la circulation, des droits de scolarité des enfants, c'est l'endroit où je peux m'écouter".
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