Petite, menue, pleine de vie, Mylène Pardoen, a totalement inventé son métier, jusqu'à son nom poétique.
Partir de rien ne lui fait pas peur. A 30 ans, elle a réinventé sa vie. Après une carrière dans l'armée, elle entre à l'université "par la petite porte", sans le bac. Elle rêvait d'étudier l'histoire, il n'y avait pas de place, on la dirige en musicologie.
Mais à force de travailler pour les musées, en particulier celui des Invalides, la spécialiste de musique militaire, passionnée d'histoire, a réalisé son rêve: elle fouille le passé pour en restituer l'univers sonore.
Son grand projet, baptisé "Bretez", du nom du cartographe qui a réalisé le plan de Paris à l'époque de Turgot, fait entendre les bruits du quartier du Grand-Châtelet, rue par rue, pont par pont, boutique par boutique.
En écoutant cette "fresque sonore"*, on déambule entre le pont au Change et le pont Notre-Dame mais au XVIIIe siècle ! On croise les marchandes ambulantes, les bêtes qui vont à l’abattoir, les clapotis de la Seine lors de joutes nautiques...
Cette nouvelle approche, par les oreilles, permet de "vivre l'Histoire". "On devient soi-même le personnage car le son touche notre sensibilité", explique la chercheuse. "C'est une immersion", une dimension complétement différente par rapport au simple visuel.
"Je n'invente pas de son, je ne crée pas de sons", explique la quinquagénaire aux cheveux très courts. Avec l'aide de spécialistes, d'historiens, elle reconstitue les métiers disparus, les outils du passé. Elle enregistre les sons qu'ils produisent et "les remet dans leur jus".
- Prix Nobel du sonore -
Au XVIIIe siècle, les rues étaient étroites, les ponts supportaient des maisons, les matériaux de construction étaient différents. Les sons n’avaient pas "la même saveur".
"Un façade en bois ne va pas sonner comme un mur en pierres", sourit cette amoureuse du détail qui depuis plus de 10 ans fouille toutes les archives d'époque pour ressusciter ces rues aujourd’hui effacées.
"L'armée et la recherche, ce sont deux vies différentes mais la première m'a donné le gout d'aller au bout des choses", avoue Mylène Pardoen en poste à l'Institut des Sciences de l'Homme (ISH) de Lyon.
"En faisant écouter les sons du passé, je veux aussi sensibiliser sur les sons du présent", explique la chercheuse. "Aujourd'hui, on est dans une société où on se replie dans son propre son". "Beaucoup de gens se promènent avec le casque sur les oreilles et les autres de toute façon n'écoutent pas le monde".
Ce n'est pas son cas. La musicologue écoute tout le temps. Un souvenir de son ancien métier de mécanicienne sur hélicoptère. "Quand on est militaire, on travaille avec tous nos sens."
"Les enfants écoutent tout" mais quand on devient adulte, nos préoccupations nous accaparent, "il n'y a plus de connections possibles avec son voisin".
"Ca nous coupe de tout ce qui est collectif, la collectivité n'existe plus", regrette Mylène Pardoen, qui écume les colloques et les manifestations scientifiques pour partager son savoir et surtout redonner ses lettres de noblesse aux bruits qui n'ont pas toujours été perçus comme une nuisance.
"Le son c'est important, ça génère des émotions". "Ce sont ces émotions qui nous motivent, s'il n'y a pas d'émotion, il n'y a pas grand chose", note la chercheuse.
Comme une militante, elle fait écouter la ville à qui veut bien pour "ouvrir nos sens".
Et elle y gagne de bons souvenirs. Comme cette fois où après avoir entendu sa reconstitution sonore, un enfant de CE2 s'est dressé devant elle pour lui dire: "C'est mieux qu'Assassin's Creed, tu sais !".
"Avec ce petit bonhomme, j'ai reçu le prix Nobel du paysage sonore", s'amuse la chercheuse.
*https://sites.google.com/site/louisbretez/actualites
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