Adaptée à l'écran, cette oeuvre de Ferdinand Von Schirach a été diffusée en Allemagne, Autriche, Suisse, République tchèque et Slovaquie, une diffusion simultanée d'ordinaire réservée à l'Eurovision et aux grands événements sportifs.
"Terror" raconte le procès fictif de Lars Koch, pilote de l'armée allemande jugé pour avoir abattu en vol un avion de la Lufthansa détourné par un terroriste, qui entendait le précipiter sur le stade de Munich un soir de match de football.
Peut-on mettre en balance des vies humaines ? Comment savoir si l'appareil se serait réellement écrasé ? Aurait-on pu évacuer l'enceinte ? Qu'aurait fait le pilote si sa femme et son enfant avaient été dans l'avion ?
Après les plaidoiries, le récit s'est interrompu et les téléspectateurs ont eu un quart d'heure pour donner leur verdict, comme l'ont déjà fait 163.000 spectateurs dans 54 théâtres, à Berlin mais aussi à Tel Aviv, Caracas ou Tokyo.
Ces jurés d'un soir ont acquitté le pilote à plus de 80% (86,9% en Allemagne et Autriche, 84% en Suisse), soit bien plus que la proportion enregistrée dans les théâtres, à environ 60%. Et ce alors que le pilote, sur le plan strictement juridique, remplissait les conditions de culpabilité.
- Justice 'populiste' ? -
Les 535 représentations à ce jour ont dessiné une cartographie fascinante des conceptions morales - Caracas acquitte aussi largement que Tokyo condamne - tout en montrant l'influence des attentats de Paris, qui ont fait bondir à 60% le taux moyen d'acquittement.
Ecrite après les attaques contre Charlie Hebdo de janvier 2015 mais avant les nouveaux attentats de Paris de novembre 2015, de Bruxelles en mars, et la série qui a frappé l'Allemagne en juillet, "Terror" prend des accents prophétiques pour décrire la confusion des démocraties hantées par la menace terroriste.
L'expérience n'a toutefois pas fait l'unanimité en Allemagne, pays très légaliste prompt à s'enflammer sur les questions juridiques.
L'ancien ministre de l'Intérieur Gerhart Baum a parlé d'"effets de manche" sur une question tranchée dès 2006 par la Cour constitutionnelle fédérale. "Des millions de gens se sont élevés au rang de juges, c'est horrible", a-t-il dénoncé après l'émission.
Dans la foulée du 11 septembre 2001, le Parlement allemand avait en effet autorisé la destruction en vol d'un avion détourné par un terroriste. Mais le texte avait été invalidé au nom du premier principe de la Constitution allemande, "La dignité humaine est inaltérable".
"Sous prétexte d'expérience artistique par un média de masse, on met en oeuvre ce que réclament les partis populistes: laisser décider le bon sens populaire", déplore de son côté l'hebdomadaire Die Zeit.
- Ambivalence morale -
Plus nuancé, le quotidien Die Welt juge l'expérience "légitime et intéressante" mais déplore que le tribunal fictif "s'incline devant le vote" au lieu de délivrer son propre verdict, tant l'application du droit laisse peu de place à l'acquittement.
Le directeur des programmes d'ARD, la chaîne publique qui a diffusé la pièce, s'est défendu d'organiser "un référendum sur les principes constitutionnels".
"Le plus important est la discussion, et seulement la discussion", souligne pour sa part le dramaturge, pour qui "notre morale oscille selon les situations". Il reconnaît lui-même mardi dans Bild, que dans un vrai procès "le pilote aurait été à coup sûr condamné".
L'ambivalence morale est au coeur de l'oeuvre de Ferdinand Von Schirach depuis que cet avocat pénaliste de renom, qui a défendu l'un des derniers dirigeants d'ex-RDA, a publié deux recueils de nouvelles inspirées de sa pratique, "Crimes" et "Coupables".
Petit-fils de Baldur Von Schirach, l'ancien chef des Jeunesses hitlériennes, l'écrivain avait aussi rencontré un énorme écho avec "L'affaire Collini" (2012), consacré à l'indulgence judiciaire dont ont bénéficié de nombreux criminels nazis.
Son roman avait même suscité l'ouverture d'une commission d'enquête au sein du ministère de la Justice, qui vient de révéler l'ampleur du "recyclage" d'anciens nazis au sein du ministère.
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