Geoffrey Livolsi et Nicolas Vescovacci, les deux auteurs d'une enquête qui devait être diffusée le 18 mai 2015 dans le magazine de la chaîne cryptée "Spécial Investigation", et Jean-Pierre Canet, rédacteur en chef du documentaire, ont déposé plainte pour "entrave à la liberté d'expression", "abus de biens sociaux" et "abus de pouvoirs".
D'après leur plainte, dont l'AFP a eu connaissance, Vincent Bolloré, président depuis 2014 du conseil de surveillance de Vivendi, maison mère de Canal+, a appelé l'ancien directeur général de la chaîne cryptée, Rodolphe Belmer, depuis limogé, pour "exiger la déprogrammation du documentaire", en mettant en avant ses liens d'amitié et d'affaires avec Michel Lucas, alors patron du Crédit Mutuel.
"Cette déprogrammation brutale est un acte de censure caricatural par un actionnaire financier", a commenté l'avocat des journalistes William Bourdon, joint par l'AFP.
"Il ne s'agit pas d'un bras de fer avec un homme d'affaires. A travers cette plainte, ce qui nous intéresse, c'est de mettre la liberté d'informer au coeur du débat public à l'approche de la présidentielle", a indiqué à l'AFP le journaliste Nicolas Vescovacci.
Le 12 mai 2015, six jours avant la diffusion initialement prévue, Vivendi avait lancé une OPA sur Canal+. Or "l'opération devait être garantie par le Crédit Mutuel par l'intermédiaire de sa filiale CM-CIC Securities", une circonstance qui vient aussi "jeter le trouble sur les conditions dans lesquelles le reportage a été déprogrammé", affirment les auteurs de la plainte.
Dans leur enquête, "Évasion fiscale, enquête sur le Crédit Mutuel", les journalistes accusaient la banque, témoignages d'anciens employés à l'appui, d'avoir organisé un vaste système d'évasion fiscale entre des clients français du Crédit Mutuel-CIC et sa filiale à Genève, la banque Pasche.
La pratique consistait notamment, selon eux, à faire transiter des sommes d'argent dans des mallettes par un appartement parisien, avant de les enregistrer dans les comptes d'une agence du CIC. Par un jeu d'écritures, ces fonds se retrouvaient ensuite dans les comptes de Pasche, avant d'être redistribués à leurs propriétaires.
- "Vide juridique" -
Le parquet national financier avait ouvert en février 2015 une information judiciaire pour blanchiment visant la banque Pasche, rachetée depuis par une banque luxembourgeoise. Une enquête est également en cours à Monaco: les deux dirigeants de la banque Pasche, Jürg Schmid et Olivier Giaune, ont été "inculpés pour blanchiment et non-déclaration de soupçons en mai 2015", a indiqué le parquet de Monaco à l'AFP.
Pour William Bourdon, cette déprogrammation révèle aussi "un abus de pouvoir sinon un abus de bien social car elle s'est faite au mépris de l'actif de la société pour favoriser un lien privilégié et personnel avec l'actionnaire".
Selon la plainte, la non-diffusion a causé "un préjudice direct tant à la société elle-même qu'à ses actionnaires", notamment Jean-Pierre Canet.
A travers cette plainte, le rédacteur en chef du documentaire espère attirer l'attention sur "le vide juridique" entourant selon lui la notion de censure, qui "n'est pas qualifiée juridiquement" dans les textes. "On a peu de moyens, nous journalistes, de se défendre quand la liberté d'informer est attaquée", a renchéri Geoffrey Livolsi, co-auteur du documentaire.
Le reportage avait été diffusé dans l'émission "Pièces à conviction" sur France 3, le 7 octobre 2015.
Sollicité par l'AFP, le groupe Bolloré n'a pas donné suite.
Envie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nousEnvie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nous
L'espace des commentaires est ouvert aux inscrits.
Connectez-vous ou créez un compte pour pouvoir commenter cet article.