Masques à gaz et corps mutilés: en France, Otto Dix est surtout connu pour ses tableaux décrivant les horreurs de la Première Guerre mondiale et pour avoir été classé par les nazis parmi les "artistes dégénérés". L'exposition proposée à Colmar jusqu'à fin janvier, labellisée "d'intérêt national" et riche d'une centaine d'oeuvres, révèle que son travail compte bien d'autres facettes.
Profondément imprégné d'iconographie religieuse, Otto Dix était particulièrement marqué par celle du retable d'Issenheim -pièce maîtresse du musée Unterlinden-, au point d'être surnommé par ses contemporains "le nouveau Grünewald", du nom de l'auteur du retable.
Peints en Alsace entre 1512 et 1516, les neuf panneaux en bois de ce retable représentent, avec un mélange de grâce et de violence extrême, de foisonnement de l'imaginaire et de réalisme cru, des épisodes de la vie du Christ et de Saint-Antoine.
Après l'annexion de l'Alsace par l'empire allemand en 1871, le retable connut une grande notoriété outre-Rhin, où il fut présenté à la fois comme une forme d'apogée de l'art allemand et un précurseur du courant expressionniste.
Le retable a inspiré de nombreux artistes, comme Emil Nolde et Pablo Picasso, mais chez Otto Dix, "l'influence de Grünewald est présente de façon permanente, de sa période expressionniste à sa mort en 1969: c'est le seul artiste du XXe siècle qui ait cité le retable tout au long de sa carrière", explique la commissaire de l'exposition, Frédérique Goerig-Hergott.
- Prisonnier à Colmar -
Au coeur de l'exposition, un cube reproduit les différents volets du retable en mettant en exergue, en couleurs, les motifs le plus souvent déclinés par Otto Dix. Le visiteur peut ainsi embrasser, en un regard, les tableaux d'Otto Dix et leur source d'inspiration.
Le peintre emprunta à la fois des thèmes, postures et techniques picturales à son illustre prédécesseur.
Dans l'Annonciation de Matthias Grünewald, la Vierge Marie est blonde et vêtue d'une longue robe sombre, dans celle d'Otto Dix, peinte en 1950, elle est brune et porte une courte robe à bretelles et de gros godillots, mais dans les deux cas, elle se recule, les yeux mi-clos, l'air effarouché, tandis que l'ange Gabriel la pointe du doigt.
Chacun des deux artistes touche à l'universel tout en plaçant la scène dans sa propre époque. Malgré les différences de style, le parallèle est frappant.
Il ne l'est pas moins entre la crucifixion de Grünewald, où le Christ apparaît les lèvres bleutées et le corps couvert de plaies, et les Christ d'Otto Dix, auxquels les barbelés des camps de prisonniers servent de couronnes d'épines.
Chez Dix, le Christ prête son visage à tous les hommes humiliés. Enrôlé dans l'armée allemande en 1945, le peintre a lui-même été fait prisonnier et incarcéré... à Colmar. Un épisode traumatisant mais qui lui permit de voir le retable d'Issenheim de ses yeux. Il le qualifia alors d'"oeuvre impressionnante, d'une témérité et d'une liberté inouïes".
Les références au retable foisonnaient déjà dans les oeuvres, très peu connues, peintes après sa destitution par les nazis du poste de professeur à l'Académie des Beaux-Arts de Dresde, en 1933. Réfugié près du lac de Constance, Dix peignait alors des paysages et sujets bibliques pour ne pas être accusé de faire de la politique.
Dans ces tableaux à la forte charge symbolique, il s'identifiait parfois à Saint-Antoine, alors qu'il était contraint à la condition d'ermite, loin des grandes villes qu'il affectionnait.
Si l'exposition ne présente qu'une reproduction du "Triptyque de la guerre", l'oeuvre monumentale de Dix qui fait le plus explicitement référence au retable, elle inclut de nombreux autres tableaux, encres et gravures qui dépeignent le chaos de la guerre.
Une concentration d'oeuvres rare, alors qu'Otto Dix est très peu représenté dans les musées français.
"Otto Dix - Le retable d'Issenheim", jusqu'au 30 janvier 2017.
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