Sauf que sa silhouette longiligne, trahie par un visage fin et de frêles poignets s'échappant de son hijab rouge, arpente désormais les locaux délabrés de l'école du village, dépassant d'au moins une tête des camarades bien plus jeunes qu'elle.
"Je n'avais jamais été à l'école" avant juillet 2015, avoue d'un sourire gêné cette écolière âgée maintenant de 16 ans qui a bénéficié d'un programme d'émancipation mené par l'ONG Save the Children. "J'étais dans des zones rurales, où je m'occupais du bétail, et puis j'ai été mariée à 13 ans".
Rien ne prédestinait Halima à prendre le chemin de l'école, un des seuls bâtiments en béton de ce village paisible et reculé de la région de Wajir, dont le sol ocre sablonneux est parsemé de buissons desséchés, d'acacias dépassant rarement les trois mètres de haut, de fourmilières géantes et de huttes traditionnelles ressemblant à des igloos de branches et de foin.
Car le nord-est du Kenya, région musulmane semi-désertique historiquement marginalisée par le gouvernement, sous-développée et peuplée de Kényans d'ethnie somali vivant principalement du bétail, courbe l'échine sous le poids de traditions discriminatoires pour les femmes.
Plus de quatre femmes sur dix y sont mariées avant leurs 18 ans, âge de la majorité, soit le double de la moyenne nationale, tandis que 98% des femmes sont excisées, le mariage d'enfants et la mutilation génitale rituelle étant identifiés dans un rapport de Save the Children publié mardi comme parmi les principaux obstacles à l'émancipation des femmes. Et dans cette région, quelque 80% des femmes sont illettrées, contre 12% à l'échelle nationale.
"Plus tard, je veux devenir professeur, pour pouvoir éduquer toute la communauté", rêve Halima, dont le hijab flotte dans les courants d'air rafraîchissants de la classe.
- Barbe rousse -
En juin 2015, Save the Children et d'autres organisations soutenues par le gouvernement ont entrepris d'augmenter le nombre de filles allant à l'école dans la région de Wajir. Dans 80 villages sur les plus de 3.000 que compte cette région, l'ONG explique aux jeunes filles, mais aussi à leurs parents, les avantages de se marier tard, les dangers des grossesses précoces et de l'excision, ou comment elles peuvent économiser de l'argent.
"La région de Wajir est considérée comme une des plus difficiles d'accès", souligne Evans Kibet, un responsable de l'ONG, rappelant qu'elle est minée par les attaques des islamistes somaliens shebab et par des rivalités tribales. "Il est donc difficile d'atteindre les enfants, principalement le long de la frontière somalienne".
Pour y parvenir, le programme s'est adjoint la collaboration de chefs religieux. "Je préfère que nos filles aillent à l'école et décident ensuite quand et avec qui elles veulent se marier", soutient le cadi de Wajir, chef coutumier local, Abdiwahab Mursal, qui est en charge des questions de moeurs, estimant que la population "confond souvent traditions et religion".
"Au début, c'était difficile pour moi d'accepter l'idée qu'elle aille à l'école, simplement parce que nous étions nomades et que nous allions d'un endroit à un autre", reconnaît Adan, le père d'Halima, 78 ans et sédentarisé il y a 5 ans lorsqu'il est devenu trop vieux pour s'occuper de chameaux.
Ce vieillard aux cheveux et à la barbe orange vif, teints au henné, explique avoir marié sa fille à 13 ans "car c'est ce que nous faisons au vu de notre religion et de notre culture", mais il assure avoir depuis revu sa copie.
Avec la perspective d'être plus tard employée par le gouvernement, Halima "peut désormais lire et écrire", soutient ce père de 9 enfants. "L'éducation d'Halima va apporter une valeur ajoutée à sa vie et à nos vies, et elle pourra peut-être un jour construire une maison pour nous".
- Un modèle pour les autres filles -
Hussein, l'époux d'Halima, admet que si l'idée d'une éducation le séduit, il a d'abord redouté qu'elle empêche son épouse d'accomplir les tâches qui lui incombent selon lui. C'est finalement une compensation financière de 3.000 shillings par trimestre (26 euros) qui l'a convaincu. "Qu'elle apprenne à l'école, et ensuite nous aurons des enfants".
Grâce à son éducation, Halima pourra subvenir aux besoins de sa famille si une sécheresse décime les troupeaux, ou communiquer en anglais, langue officielle du pays, estiment son père et son époux.
A l'école, où filles et garçons ne s'assoient pas sur les mêmes bancs, Halima suscite l'admiration de filles non mariées. "Je pense que Halima est une fille courageuse", dit Yousra, d'un an sa cadette.
"Halima est une élève spéciale de notre école, elle travaille dur et est très disciplinée", renchérit le professeur principal de l'école, Hussein Khalif, autour d'un thé somalien, sucré plus que de raison et allongé au lait de chameau. "Elle est un modèle pour les autres filles, elles en sont très fières et cela les motive à apprendre plus".
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