"J'en vois souvent, de plus en plus... C'est comme si à chaque fois qu'on les voyait, ils allaient nous tirer dessus", avoue Amandine, une collégienne parisienne de onze ans. Leurs "visages assez fermés" ne la "rassurent pas du tout". "Au contraire, ça donne l'impression que là, les terroristes vont venir", confie la brunette.
Avec le renforcement du plan Vigipirate, et la mise en place de l'opération Sentinelle depuis 2015, ce sont aujourd'hui quelque 100.000 policiers, gendarmes, militaires et réservistes qui sont déployés en France.
Leurs treillis, leurs fusil-mitrailleurs ou leurs pistolets sont désormais familiers. L'uniforme bien visible, l'arme ostentatoire. Sécuriser, dissuader. Apaiser, peut-être.
"Les enfants peuvent se sentir protégés, rassurés à les voir hyper armés", analyse Liliane Daligand, psychiatre infanto-juvénile qui a suivi des enfants victimes d'attentats. "Les voir circuler, armés, Harnachés, ça ne fait pas peur, ça sécurise", assure-t-elle.
Elle qui a suivi des auditions d'enfants maltraités ou abusés sexuellement explique que si "dans un premier temps, les gendarmes pensaient qu'il valait mieux venir en civil, après on s'est rendu compte que l'uniforme rassurait les enfants". "La panoplie d'armes imposantes, c'est une démonstration. Pour la population enfantine, c'est une défense très appropriée. Il ne faudrait pas que ce soit crypté, ou éviter que les enfants voient. Le message c'est +on s'occupe de nous, du peuple+."
Dans l'esprit des enfants, le système de valeurs est manichéen. Les militaires, pour Liliane Daligand, "sont là pour le bien et pas pour le mal, et pour éventuellement faire du mal à ceux qui ont fait du mal".
- Tel-Aviv -
"Je préfère qu'elle voie les armes des policiers plutôt que des bombes exploser", concède Pierre Mathieu, père d'une fille de six ans. Sa terreur ? Que sa petite assiste à une fusillade.
Montrer pour rassurer : l'idée est partagée par Marcel Rufo, pédopsychiatre qui a suivi des enfants victimes de l'attentat de Nice.
Pour les enfants, "le policier est associé à l'arme, comme dans le Chaperon rouge: le chasseur a le droit d'avoir un fusil pour tuer le loup. La grand-mère, elle, n'a pas de fusil", explique-t-il.
Dès le "CP, on a acquis la notion de mort", rappelle le spécialiste. Les élèves se prêteront, selon lui, volontiers aux exercices de simulation d'attaque prévus par l'Education nationale : "On joue à +si l'école était attaquée+; ils apprennent le risque. Les enfants adorent avoir peur quand les adultes n'ont pas peur".
Les adultes paraissent d'ailleurs plus impressionnés par ce déploiement de force que les plus petits.
"Même si c'est une présence qui est censée nous rassurer, c'est finalement assez oppressant parce que ça nous ramène au danger potentiel", note Julie Subiry, mère de trois enfants de cinq à onze ans.
Marcel Rufo juge qu'on peut faire une comparaison avec Tel-Aviv, où les enfants grandissent dans la crainte permanente d'attentats et "ont intégré le mode de vie sécurisé". "C'est ce qui nous attend", estime le pédopsychiatre : les petits Français "diront +ça fait partie des risques de la vie+. Les attentats feront partie du quotidien désagréable, comme on s'habitue par exemple aux embouteillages".
Virginie Bienabe a ainsi constaté "des mots qui apparaissent" chez son fils Gabin, six ans. Il a demandé un jour à sa maman si le monsieur avec le bras cassé était blessé "à cause de l'explosion d'une bombe". Une interrogation, pense-t-elle, qui fait désormais "partie de leur monde et de leur univers".
Les psys conseillent de ne pas éluder le sujet : Liliane Daligand estime qu'"il faut dire aux enfants qu'il y a des personnes dangereuses". "Surtout pas de mensonge", "ne pas les laisser dans l'imaginaire ou un fantasme, qui est toujours pire que la réalité".
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