Colonne vertébrale de la loi et épicentre de la contestation, l'article 8 (ex-article 2) instaure la primauté de l'accord d'entreprise sur l'accord de branche en matière de temps de travail: sur la question spécifique des heures supplémentaires au-delà des 35 heures, les branches ne pourront plus interdire aux entreprises de baisser, par accord avec les syndicats, le taux de majoration à 10%, au lieu des 25% que la loi fixe par défaut.
Les défenseurs de cette mesure y voient une souplesse permettant d'améliorer la compétitivité par un dialogue "au plus près du terrain". Avec pour garde-fou l'obligation d'un accord majoritaire, signé par des syndicats représentant plus de 50% des salariés.
Ses détracteurs dénoncent une porte ouverte à un dumping social généralisé, via une baisse des rémunérations acceptée sous la pression du "chantage à l'emploi", qui conduira au final à "gagner moins".
Le décret d'application devant paraître sous peu, ils sont à l'affût. "Une flopée d'accords régressifs sont dans les tuyaux, la loi travail sert de facilitateur", dénonce Fabrice Angéi, de la CGT.
La CFE-CGC dit avoir reçu, sitôt la loi promulguée en août, "six ou sept demandes d'informations d'entreprises souhaitant renégocier les 35 heures". En Indre-et-Loire, "la pression est déjà mise dans certaines boîtes", rapporte Grégoire Hamelin, de l'Union départementale FO.
"Beaucoup de petites entreprises qui, au moment des lois Aubry, étaient restées aux 39 heures --avec des heures supplémentaires-- vont vouloir gagner des marges de manœuvre parce qu'elles ont la pression des clients", observe le responsable de FO.
Or, argue-t-il, un accord baissant la rémunération des heures supplémentaires est plus facile à imposer au niveau de l'entreprise, où le rapport de force est par essence défavorable au salarié, que dans la branche, où les délégués syndicaux "ne sont pas liés par un contrat de travail".
- 'De la dynamite' -
D'où la crainte d'un dumping social. "Un restaurateur qui va faire un accord temps de travail pour baisser le prix de son plat du jour va mettre en concurrence la brasserie d'à côté", qui sera tentée d'en faire autant, résume M. Angéi.
Le gouvernement ne craint pourtant rien de tel. Les loi Fillon de 2004 et 2008 ayant déjà ouvert la possibilité, pour certains aménagements du temps de travail, de déroger à la branche, le système actuel est en fait hybride. Dans 14 des 50 plus grandes branches, il est déjà possible de fixer au niveau de l'entreprise des majorations à 10%, et "aucun dumping social généralisé n'y a été observé en dix ans", assure le ministère du Travail.
La nécessité d'un accord majoritaire à 50% représente de surcroît à ses yeux un "verrou majeur" - sans quoi c'est la convention de branche qui s'applique. "Il faut un accord gagnant-gagnant", souligne Olivier Guivarch, de la CFDT Services: "sans contreparties, personne ne signera; quel délégué a envie de se faire ratiboiser aux prochaines élections ?"
Sans compter qu'un salarié peut vouloir, en échange, des compensations sur la garde d'enfants: autant de détails quotidiens plus compliqués à négocier au niveau de la branche, cadre trop général... voire inexistant.
Sur l'organisation du travail en général, les attentes seraient réelles chez les entreprises saisonnières par exemple, pour gagner en flexibilité, selon M. Guivarch. Mais sur les "heures sup" spécifiquement, il dit connaître peu d'employeurs "qui ont envie d'aller batailler".
- Incertitude après la présidentielle -
Car le sujet est sensible. "La loi Fillon de 2004 a été en pratique un échec, et pourquoi? Parce que le temps de travail, c'est de la dynamite ! Il percute le petit écosystème vie professionnelle/vie privée de chaque salarié: les entreprises n'ont pas voulu mettre le feu", analyse Jean-Emmanuel Ray, professeur en droit du travail.
Dans les PME, les patrons ont déjà "un mal de chien à attirer de bons éléments, ils n'ont aucun intérêt à le faire", poursuit le juriste.
Le recours à la mesure ne serait du coup que "très marginal" et réservé "aux entreprises au bord du dépôt de bilan", estime le Pr Ray. "Dans une entreprise de 300 salariés qui perd des clients, des délégués syndicaux signeront sans doute, au nom de l'emploi, des accords donnant-donnant. Parce qu'il vaut mieux flexibiliser le temps de travail que de licencier", selon lui.
Mais les employeurs de petites structures fragiles seront "beaucoup plus désarmés" que les grands groupes pour proposer des contreparties suffisantes permettant de conclure un accord, s'inquiète François Asselin, le patron de la CGPME.
Nombre de petites entreprises risquent alors d'avoir "un taux de rémunération des heures supplémentaires supérieur à celui de certaines grandes entreprises ou grands groupes, créant ainsi une distorsion de concurrence inacceptable", selon lui.
Pourtant, ces grands groupes, qui ont déjà durement négocié le temps de travail lors du passage aux 35 heures, ne semblent pas si pressés. Sylvain Niel, avocat chez Fidal et président du Cercle des DRH, en a sondé 60: moins de 20% des DRH interrogés pensent profiter de la loi travail pour baisser la majoration des heures supplémentaires.
"Les DRH sont davantage intéressés par les mesures les plus opérationnelles de la loi, comme les licenciements économiques, que par celles qui obligent à un accord majoritaire, qui plus est dans l'attente de la prochaine présidentielle. Car sur le temps de travail, les marqueurs pourraient bouger". Les principaux candidats à la primaire de la droite veulent en effet remettre en cause les 35 heures.
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