En ce début d'après-midi d'automne, de jeunes enfants kurdes étrennent la nouvelle aire de jeux du camp "de la Linière". Elle est le dernier né des services mis en place par l'association gestionnaire, l'Afeji, mandatée par l'Etat et la mairie fin mai: quatre cuisines communautaires, un espace réservé aux femmes, une laverie, des navettes quotidiennes vers l'hôpital et l'école...
Des dizaines de migrants, les bras chargés de la nourriture distribuée en abondance grâce au concours de l'Auberge des migrants, remontent l'allée principale pour regagner l'un des 327 mini-chalets - chauffés l'hiver.
La vie relativement paisible de ce camp aux normes humanitaires internationales pourrait toutefois être troublée à l'occasion du démantèlement de la "Jungle" de Calais.
Franck Esnée, chef de mission pour Médecins sans frontières (MSF) dans la région, fait l'hypothèse de "centaines, voire de milliers" de reports de réfugiés, tant dans des mini-camps alentours que vers le camp de Grande-Synthe.
"Depuis le week-end dernier, on a beaucoup plus d'arrivées en provenance de Calais", note Damien Carême, le maire écologiste de la ville.
"On peut s'attendre au pire", s'alarme Hervé Desvergne, directeur du camp de la "Linière", d'autant que, rappelle-t-il, celui-ci n'est plus conçu pour absorber des arrivées massives.
La capacité d'accueil, fixée à 1.500 personnes par la mairie en mars, a en effet quasiment été réduite de moitié. La population, actuellement de 712 résidents, s'est stabilisée depuis plusieurs semaines grâce au retrait des chalets inoccupés après chaque départ.
Le camp n'accueille plus désormais que les "vulnérables" - femmes et enfants - et a tendance à refuser les hommes seuls, pour remplir l'un des objectifs de la convention tripartite, la fermeture progressive du camp, explique Hervé Desvergne.
Des "refoulements" qui scandalisent MSF: "Est-ce qu'un homme seul n'est pas aussi voire plus vulnérable que des familles?", interroge Franck Esnée. "Il fallait bien fixer les règles du jeu", se défend le maire, pour qui il faut éviter "de transvider Calais" sur Grande-Synthe.
- Chassés par les passeurs -
Contrairement à la "Jungle", très cosmopolite, les habitants du camp de Grande-Synthe sont aux trois quarts des Kurdes irakiens, généralement plus riches et éduqués. "Ici, il y a ceux qui ont payé pour aller en Angleterre, et ceux qui les font passer", confie Hervé Desvergne, résumant la problématique d'un camp particulièrement fourni en passeurs.
"Les passeurs font un forfait réunissant le voyage vers l'Angleterre et une pause dans cet endroit pourvu d'abris et de nourriture", affirme François Guennoc, de l'Auberge des migrants.
Difficile de dire par exemple si Jalil et Fouad, Kurdes irakiens rencontrés à leur retour d'un guichet alimentaire, ne tiennent pas un discours orienté à dessein: "On nous a refusé l'asile en France, donc nous cherchons à aller en Angleterre". Comme la majorité ici, affirment-ils.
Comment réagiraient les réseaux criminels en cas d'afflux de migrants "calaisiens", dont beaucoup se passent de leurs services faute de moyens? En mars et avril, à l'ouverture du camp, un nombre non négligeable de migrants en avaient été chassés.
Si la prépondérance des passeurs peut donner l'impression d'un gâchis, Damien Carême souligne que "25% des réseaux démantelés en France l'ont été à Grande-Synthe", prouvant l'efficacité d'un camp bien organisé.
Selon Franck Esnée, le camp de Grande-Synthe "ne serait un échec que si la tendance sur les passeurs n'est pas inversée d'ici six à neuf mois. Seule une stratégie de médiation et d'action sociale pourra établir la confiance" et court-circuiter les trafics.
"Avant les gens vivaient dans un taudis (le camp informel du Basroch, ndlr), donc la Linière est un progrès", juge Hervé Desvergne. "Mais sur la durée, attention à ne pas s'embourber!"
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