Par un dimanche matin de septembre entre nuages et éclaircies, il dessine des arabesques avec sa planche au milieu des rouleaux grondants de l'océan près de Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques), sous l'oeil attentif et complice de son entraîneur, le surfeur basque Manu Portet.
"Dans l'eau j'oublie mon handicap", confie Eric Dargent, qui une fois revenu sur la plage suscite l'étonnement mêlé d'admiration d'autres surfeurs quand ils aperçoivent sa prothèse d'amputé fémoral, au-delà du genou gauche.
Ses sensations ne sont "pas comme avant", mais le plaisir de la glisse est toujours là. "Parfois il est même plus important, parce qu'il y a une espèce de revanche", estime ce surfeur de 39 ans, barbe de trois jours et air décontracté.
En février 2011, lors d'un séjour à La Réunion où il envisageait de s'installer avec sa femme et ses enfants, il se fait attaquer par un requin alors qu'il surfait sur la côte Ouest de l'île, une zone jusqu'alors considérée comme sûre.
"En quelques secondes ma jambe a été arrachée. Je ne m'en suis pas rendu compte tout de suite. Je suis reparti comme un dingue en hurlant, heureusement je n'étais pas loin du bord", raconte-t-il presque mécaniquement.
Le traumatisme est terrible pour le jeune homme, qui pour résister psychologiquement s'accroche à sa passion: "Quelques jours à peine après l'accident, j'avais déjà envie de remonter sur une planche de surf".
- "Volonté de fer" -
Mais les spécialistes lui conseillent de se tourner vers d'autres sports, jugeant son amputation trop haute.
L'un d'eux, Bertrand Tourret-Couderc, décide toutefois de soutenir son projet, "touché" par sa "volonté de fer": "Pour Eric, remonter sur une planche de surf c'était aussi important que de pouvoir remarcher", raconte cet orthoprothésiste de Marseille à l'AFP.
Avec son aide, celle du snowboardeur amputé Patrice Barattero et d'un lycée technologique provençal, Eric Dargent se met à concevoir, tester et affiner le prototype d'une prothèse adaptée aux sports de glisse, à partir d'une solution basée sur un amortisseur hydraulique utilisé en VTT.
Cette prothèse mécanique, résistante à l'eau de mer et au gel, a été par la suite perfectionnée par l'entreprise française Proteor, qui l'a notamment aussi adaptée à la pratique du VTT et qui la commercialise depuis quelques mois.
"Comme les prothèses de sport coûtent très chers, c'est aussi un effort qu'on a essayé de mettre en place avec Proteor, qui distribue ce genou aux alentours de 3.000 euros, alors qu'avant on avait des prothèses à 6.000-8.000 euros", souligne M. Dargent.
Les prothèses sportives ne sont pas remboursées en France, "alors que le sport est un vecteur de bien-être, de santé: c'est parfois plus efficace qu'un anti-dépresseur", insiste-t-il.
N'ayant pas repris son travail d'infirmier libéral après son accident, le natif de Martigues (Bouches-du-Rhône) veut continuer à promouvoir le handisport avec son association "Surfeurs Dargent", et continuer de "relever des défis" sportifs pour "casser des barrières".
Champion de France handisurf avec sa prothèse pour la première édition de cette compétition l'an dernier, il s'apprête à défendre son titre en octobre à Biarritz, avant de s'envoler pour la Californie en décembre pour les championnats du monde de la discipline, où il espère faire mieux que sa 5e place de l'an dernier.
Il prévoit aussi de réaliser un film de handisurf en Indonésie en janvier prochain, en espérant d'ici là décrocher des sponsors, qui se font encore rares dans le domaine.
A son grand regret, le handisurf n'est pas encore inscrit aux Jeux paralympiques. Alors que le surf, lui, fera son entrée parmi les sports olympiques aux Jeux de Tokyo en 2020. "Au moins on aura peut-être ouvert la voie", sourit-il.
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