Pendant des mois, ils ont répété inlassablement le spectacle dans ce village situé dans le nord de l'île la plus touristique d'Indonésie, qui compte depuis des générations un nombre anormalement élevé de sourds et malentendants - en raison de la présence d'un gène récessif.
Les sourds représentent aujourd'hui environ 40 des quelque 3.000 habitants de la commune. Mais contrairement à d'autres régions du pays, où ils pourraient être victimes de discriminations, les sourds de Bengkala sont bien intégrés dans ce village qui existe depuis huit siècles.
Outre la danse des sourds, basée sur des percussions fortes qui leur permettent de sentir la musique, les habitants ont développé leur propre langage des signes, le Kata Kolok ("langage des sourds"), qui a été étudié par des scientifiques du monde entier.
Les sourds et malentendants du village bénéficient aussi de formations particulières pour pouvoir fabriquer des objets artisanaux vendus dans les lieux touristiques de l'île ou travailler dans les rizières avec d'autres villageois.
"Pourquoi les sourds devraient-ils être rejetés? Je ne veux pas de ça", lance Ketut Kantha, qui dirige un groupe de villageois qui les aide.
L'approche des habitants de Bengkala est relativement unique en Indonésie, un pays où les personnes atteintes de handicaps sont souvent l'objet de discriminations, avec notamment des milliers de malades mentaux enchaînés dans des centres de soins psychiatriques en toute illégalité, selon un rapport publié cette année par l'ONG Human Rights Watch (HRW).
- "Pas de distinction" -
Loin des complexes hôteliers touristiques dans le sud de l'île, le quotidien à Bengkala ressemble à celui de nombreux villages d'Indonésie. Les habitants vivotent autour des rizières et le niveau d'éducation scolaire est généralement peu élevé.
Par le passé, des villageois pensaient que la proportion importante de sourds et malentendants était due à une malédiction. Ces superstitions et les préjugés qu'elles ont créés ont largement disparu depuis que des experts ont conclu que ce handicap provenait d'un gène récessif dans la population locale.
Ce n'est que dans les années 1960 que le village a commencé à faire des efforts pour mieux intégrer les sourds. Aujourd'hui, tout le monde est traité de la même manière, affirme le chef du village, I Made Arpana.
"Nous ne faisons pas de distinction entre villageois sourds et pas sourds", dit-il en soulignant que la communauté refuse que des habitants atteints par ce handicap se sentent "inférieurs".
La création d'un langage des signes unique en son genre a été un élément clé de cette coexistence heureuse. Le Kata Kolok est utilisé par environ 80% des villageois. Il est différent du langage des signes international et même indonésien: ses signes, créés par des villageois, reflètent la manière dont ceux-ci voient le monde autour d'eux.
- L'espoir d'un avenir meilleur -
Une école élémentaire accueille 77 enfants sourds et non sourds qui apprennent tous le langage des signes local et suivent aussi une initiation au langage des signes international et indonésien.
De quoi satisfaire certains parents d'élèves, comme Made Budiasih: "j'étais désespérée, mais ensuite j'ai trouvé cette école", dit cette femme qui s'inquiète cependant pour l'avenir de son fils de sept ans né sourd.
Car même les élèves qui réussissent leurs examens n'ont pas la tâche facile par la suite, dans la mesure où il n'y a pas d'écoles secondaires enseignant aux sourds, ce qui conduit la plupart d'entre eux à abandonner leur scolarité.
Et ce n'est pas toujours facile d'enseigner aux élèves sourds, souvent frustrés, constate I Made Wisnu, instituteur dans cette école depuis des décennies.
Malgré les défis, le chef du village est déterminé à conserver cette culture unique pour les sourds, estimant que l'abandonner serait un "péché".
La danse des sourds en est la meilleure illustration. Ce show unique a commencé à attirer des visiteurs étrangers dans le village isolé, donnant à ses habitants l'espoir d'un avenir meilleur.
"Des touristes de Chine et d'Europe viennent nous voir", se réjouit I Wayen Getar, joueur de tambourin s'exprimant dans le langage des signes, avec un interprète à ses côtés. "Et ils apprécient vraiment".
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