Au 5, rue d'Elbeuf, en face de l'Eglise Saint-Sever, l'antenne de Médecins du Monde à Rouen (Seine-Maritime) fait elle aussi office de lieu d'asile. Chaque matin, à l'ouverture des portes à 9 heures, plusieurs dizaines de "mineurs non accompagnés", selon le terme officiel, se rendent en effet entre ces quatre murs pour trouver réconfort, conseils, et surtout pour tenter de reformer un cocon familial évanoui sur les chemins de l'exil. Ils en profitent aussi pour dormir quelques heures, car si une quarantaine d'entre eux est provisoirement logée à l'hôtel, une bonne vingtaine dort à la rue. "Ils ne dorment pas en réalité. La nuit, avec la peur jamais très loin, ils marchent, beaucoup", comme l'explique Pascal Lissot, celui qui chapeaute les treize bénévoles en charge de la mission MNA (mineurs non accompagnés) pour l'association médicale.
La sainte trinité: hébergement, santé et formation
De quoi s'effondrer au petit matin sur un des sacs de couchage mis à leur disposition, puis assurer une toilette sommaire. La journée s'écoulera ensuite rapidement, accaparés que sont ces jeunes âgés de 14 à 17 ans, pour l'essentiel originaires d'Afrique noire, à leurs différentes tâches administratives: monter un dossier auprès de l'ASE pour trouver une place en foyer ou en famille d'accueil, trouver une formation… Souvent, comme l'explique Pascal Lissot, une double course contre la montre se joue: " parfois, on se demande si l'ASE (aide sociale à l'enfance) ne fait pas traîner exprès les dossiers de certains jeunes jusqu'à leur majorité pour pouvoir s'en délester. En ce sens, elle ne remplit pas sa mission de protéger les mineurs. On sait qu'elle ne veut pas tous les prendre en charge pour ne pas créer ce qu'elle appelle un appel d'air. Passé 18 ans, on ne peut que les aiguiller vers la préfecture pour une demande d'asile, tout autant voire plus aléatoire". L'autre délai arrivera à la fin de la journée: passé 17h30, il faudra démarcher des foyers, ou marcher une nuit supplémentaire.
Pas à l'aise au foyer
Jacques*, jeune congolais de 17 ans arrivé en France en novembre 2015, ne connaît que trop bien ce problème. Il loge de temps à autre au foyer Abbé Bazire, à Rouen, quand il y a de la place, même s'il confie "ne pas trop aimer l'endroit, puisque les gens y fument, y boivent, ou tapent aux portes en pleine nuit." Son souhait serait d'intégrer une famille d'accueil, mais à cinq mois de son dix-huitième anniversaire, le jeune homme ne se fait pas trop d'illusions. Il préfère mettre toute son énergie pour se faire accepter en apprentissage. Il a ainsi déjà monté un dossier auprès de la chambre des métiers pour une formation en boucherie, et a même trouvé la boucherie prête à l'accueillir.
Son patron, appréciant sa motivation et sa volonté de s'en sortir, l'a soutenu auprès de l'ASE. Mais le projet bloque: Jacques a en effet échoué aux tests d'entrée conçus par le rectorat. "Mon niveau a été jugé un peu bas pour l'apprentissage lors d'un examen. Mon éducatrice à l'ASE refuse du coup de signer mon contrat d'alternance".
La boucherie le veut, l'ASE renâcle
Là encore, le fait que Jacques approche de sa majorité ne joue pas en sa faveur, quand bien même ce type de formation accueille également les plus de 18 ans. "L'école n'a rien à voir avec le fait de couper de la viande. Elle pense surtout que dans cinq mois, j'ai 18 ans." Le Congolais demeure cependant optimiste, porté par sa volonté de s'en sortir.
Il faut dire qu'il en a vu d'autres, comme il le confie d'un ton neutre: "mes parents sont morts quand j'avais 4 ans, ma tante m'a alors recueilli. Son mari, colonel dans les forces armées congolaises, ne m'appréciait pas, ou peut-être ne voulait-il pas nourrir une bouche supplémentaire. Il m'a donc accusé d'être un sorcier. Dès qu'un de ses enfants avait un malaise ou de la fièvre, c'était à cause de moi. La mort de mes parents aussi, c'était parce que j'étais un sorcier. Quand j'ai eu onze ans, il a fini par me chasser, et je me suis retrouvé à la rue."
Il intègre alors une petite bande de rue, une "kuluna" comme on les appelle là-bas. De 11 à 13 ans, il commet avec sa bande des larcins pour survivre. Mais le gouvernement congolais, alarmé par la prolifération de ces enfants des rues ultraviolents, décide de prendre le problème à bras-le-corps. "Ils voulaient nous tuer" affirme Jacques.
Pour sauver sa peau, à 13 ans, il quitte sa "kuluna" en même temps que sa région d'origine. Hébergé durant quelques années par un monsieur qui souhaite l'aider, il finit par quitter son pays, dans l'espoir d'une vie meilleure en Europe.
L'attente, surtout
Le 3 novembre 2015, à son arrivée sur le tarmac de l'aéroport Charles de Gaulle, c'est donc une nouvelle vie qui s'offre au jeune homme. Armé de son seul acte de naissance, il rencontre rapidement un homme, "monsieur Papi", qui l'engage en tant que danseur à la gare du Nord. "Pendant plus de sept mois, je dansais tous les jours avec une troupe un mélange de danse traditionnelle congolaise et de hip-hop. Le soir, monsieur Papi m'hébergeait chez lui, à Saint-Denis. J'aimais bien au début, mais il ne me payait pas, ne me donnait pas de vêtements. J'étais seulement nourri, et il voulait que je reste caché, car je suis arrivé juste avant les attentats du 13 novembre à Paris." Face aux demandes de rétribution de Jacques, monsieur Papi ne réfléchit pas longtemps et chasse à son tour le jeune homme.
Un mal pour un bien, puis qu'après avoir erré un temps en région parisienne, il finit par rencontrer un vieux monsieur d'origine africaine à qui il demande de l'aide, et qui lui parle pour la première fois de l'association Médecins du Monde à Rouen. "Il m'a dit qu'il y avait un endroit à Rouen qui pouvait m'aider. Je n'avais plus rien à Paris, pas d'argent, personne à qui me rattacher, donc j'ai pris le train et j'ai atterri ici."
C'était il y a trois mois, en juin 2016. Depuis, Jacques prend son mal en patience: "je ne parlais que le lingala (une des principales langues du Congo ndrl) à mon arrivée en France. Médecins du Monde m'a permis d'avoir accès à un interprète de Lingala pour mes dossiers au début, et maintenant j'y apprends le français." Pris en charge officiellement par l'ASE depuis le 29 juillet 2016, il attend désormais que sa situation évolue.
*le prénom a été modifié.
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