Commandée en 1373 par le duc Louis Ier d'Anjou, propriété de l’État depuis 1905, cette série de tapisseries illustre sur 104 mètres l'Apocalypse selon Saint Jean. Autrefois vifs, les rouges, bleus, verts et jaunes ont perdu de leur superbe à cause de leur exposition prolongée à la lumière du jour, depuis les années 1950 jusqu'au comblement des fenêtres de la galerie quarante ans plus tard.
Pour "voir dans quel état se porte cette vieille dame de plus de 600 ans", le ministère de la Culture a lancé une vaste opération de collecte de données, comme "une autopsie qui doit permettre de décider ce qu'on fait comme restauration et garantir sa présentation au public pendant longtemps", explique Hervé Yannou, administrateur du château.
Dans la galerie plongée dans la pénombre, deux échafaudages aident à scruter "centimètre carré par centimètre carré" cette œuvre gigantesque courant sur deux niveaux. Il s'agit de relever et "quantifier tous les types de dégradations", indiquent les restauratrices Suzanne Bouret et Montaine Bongrand, chargées de faire ce diagnostic par la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) des Pays de la Loire.
- "Dans le squelette de la tapisserie"-
Les tapisseries sont-elles plus empoussiérées si elles sont disposées à l'entrée ou à la sortie? Sont-elles plus dégradées si elles sont situées dans la partie inférieure ou la partie supérieure? Taux d'humidité, température, encrassement, déformations ou tensions liées à l'accrochage, tout est mesuré.
Quatre tapisseries, choisies parmi quelque 70 pour ne pas déshabiller totalement la galerie qui reste ouverte au public, ont été décrochées du mur et déposées dans la réserve du château où elles sont dédoublées pour un examen à la loupe de la tenture, qui a la particularité d'être réversible.
Sur la table des "médecins légistes", l'envers de la scène représentant "La moisson des élus" et "Le Sommeil des justes" offre à ses observateurs "un choc de couleurs renversant", s'exclame Hervé Yannou, car ses couleurs d'origine n'ont pas subi les altérations de l'endroit.
"L'envers ne raconte pas que sa beauté de couleurs, mais aussi les différentes interventions qui ont eu lieu. Ici, la partie a été retissée, là, on voit des techniques de repiquage avec de la laine neuve et des fils qui partent dans tous les sens", décrit Suzanne Bouret, penchée sur l’œuvre, pendant que l'une de ses collègues passe l'aspirateur pour récolter la poussière et la peser.
Léguée à la fin du XVe siècle par le roi René à la cathédrale d'Angers, la tenture de l'Apocalypse a par la suite connu une histoire mouvementée. L'évêché tente de s'en débarrasser quand elle passe de mode au XVIIIe siècle. Mutilée et mise au rebut pendant la Révolution, elle est sauvée dans les années 1850 par le chanoine Joubert, qui la récupère "en mille morceaux" et entreprend sa première restauration, retrace Clémentine Mathurin, conservatrice à la Drac.
"Sur l'envers, on voit énormément de choses qui ont été faites pour être cachées. C'est comme une radio, (...) on est vraiment dans le squelette de la tapisserie", souligne Montaine Bongrand, qui espère, en comptant "le nombre de fils de chaînes et le nombre de fils de trames (...) connaître la technique de réalisation".
"Les techniques ne sont plus les mêmes qu'il y a 20 ans. On espère percer les secrets de ce chef d’œuvre artistique et historique de la Guerre de Cent Ans, réalisé en seulement sept ans", affirme Hervé Yannou. "Où a-t-elle été tissée? Dans combien d'ateliers? Par combien de personnes? C'est un mystère...", lance M. Yannou, qui n'hésite pas à comparer la tenture de l'Apocalypse, encore largement méconnue du grand public, à une "Sixtine angevine".
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