En cette fin de matinée, une soixantaine d'hommes sont assis sur les escaliers de l'esplanade de Stalingrad, reprenant en choeur des rudiments de français. "Bonjour ça va?", "Non ça va pas", "J'ai besoin d'un docteur". Marie Bassi, l'instructrice, s'époumone pour couvrir le fracas du métro aérien et le grondement de la circulation.
Elle vient faire cours plusieurs fois par semaine. "Il y a une énorme motivation, on n'a même plus besoin d'aller les chercher", explique-t-elle, en jugeant "scandaleux" de voir combien "le campement repose sur les bénévoles".
Si l'Etat a procédé à près de 16.000 offres de "mises à l'abri" en plus d'un an pour les migrants entassés dans des campements parisiens, les opérations (26 au total) se sont fortement ralenties pendant l'été.
Aujourd'hui les bénévoles "cuisinent pour mille personnes midi et soir, d'autres accompagnent à l'hôpital, certains se démènent pour trouver des tentes...", affirme Loïc Horellou, un riverain très impliqué, qui décrit ce campement de "900 personnes au moins" comme "une espèce d'organisme vivant qui déborde dans tous les sens".
D'autant que, depuis quelques jours, "ça commence à redescendre de Calais", ajoute Imad, un autre bénévole. La présence d'enfants surtout les inquiète. Ils estiment qu'il y en a une cinquantaine environ. "Il y a trois jours, un bébé de deux mois est arrivé", déplore M. Horellou.
Zoualn, un Soudanais arrivé il y a deux semaines, dort dans la rue, "mais ça va, c'est temporaire". "Peut-être qu'il y a un plan du gouvernement", avance-t-il, avant de lancer un "vive la France" souriant.
- "Je veux rester ici" -
Il est installé avenue de Flandres, comme la plupart des Soudanais. Matelas et cartons, quelques tentes, du linge qui sèche: l'installation est sommaire, défaite brièvement à chaque intervention de la police qui vient contrôler les papiers et procéder au nettoyage du site.
"Les gens sont emmenés au commissariat, se font délivrer des obligations de quitter le territoire", se désole M. Horellou. Mais "leurs demandes d'asile ne peuvent pas être examinées puisque toute la filière est engorgée".
Sur la place Stalingrad elle-même, coeur géographique du campement, ce sont plutôt des Erythréens ou des Ethiopiens qui sont installés, à deux pas des cinémas et des cafés branchés. Le contraste est frappant le soir, lorsque les jeunes urbains attablés en terrasse côtoient de leur côté de l'esplanade les parties de foot improvisées par les migrants en t-shirt fatigué.
Inakadjo, 30 ans, a entamé la traversée sans son épouse. Cet Ethiopien de 30 ans a laissé ses empreintes en Italie et devrait donc y déposer sa demande d'asile. Mais "je veux rester ici", explique-t-il.
Près de lui, sa compatriote Anna triture la croix argentée qui lui pend au cou. "Ce qui est dur c'est qu'il n'y pas de machines à laver", soupire-t-elle, en montrant sa robe en wax maculée. Elle vit ici depuis assez longtemps pour parler français correctement; son fils de deux ans dort dans une tente, indifférent aux klaxons et gaz d'échappement du carrefour, à trois mètres.
Autre ambiance dans le coin des Afghans, le long du canal, où les tentes se serrent dans un alignement méticuleux. Des bâches sont tendues pour se protéger du regard, des tapis recouvrent le bitume. Il y a là pas mal d'enfants et de femmes, comme Zelifa, arrivée il y a dix jours à Paris.
"J'étais enseignante en psychologie, mon mari ingénieur, on a eu des problèmes avec les talibans à cause de mon travail", explique la jeune femme aux yeux clairs. A Kaboul, elle a laissé "une vie confortable, un grand appartement, trois voitures". "Tout est sale ici, bruyant", soupire-t-elle, à quelques mètres des pissotières à l'odeur pestilentielle. Mais elle veut rester en France, pour son fils de deux ans: "Il deviendra un grand docteur".
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