En lisière du RER B, à deux pas du Stade de France, les petits pavillons précédés de jardinets et les immeubles de trois étages aux façades grises fraîchement repeintes ont fière allure. Une petite marquise surplombe la porte d'entrée, des cabochons en céramique ornent les murs.
"Grâce aux photos d'époque, nous avons redonné leur identité à ces bâtiments en +béton de mâchefer+. Ce matériau économique et écologique avant l'heure était fabriqué à partir de gravats", explique à l'AFP l'architecte Hervé Rabault de l'atelier Créa, qui a supervisé les travaux.
La Ruche, c'est tout un pan de l'histoire industrielle de la région parisienne: ces 66 logements sont les premières "habitations à bon marché" de Saint-Denis, ancêtres du logement HLM en France, construites dès 1893 à l'initiative du député Jules Siegfried et du juriste Georges Picot.
Et ce, avant même la loi Siegfried de 1894, qui reconnaît la nécessité de faire appel à l'État pour loger les plus pauvres.
A l'occasion des Journées européennes du patrimoine, la résidence ouvrira ses portes samedi pour la première fois, dans une ambiance rétro avec chanteur des rues et exposition de documents d'archives.
L'occasion de célébrer cette formidable innovation sociale. "Dans les années 1890, les conditions de logement étaient épouvantables: seuls 1% des logements étaient décents, les 2/3 n'avaient pas l'eau courante et la salle de bains n'existait que chez la grande bourgeoisie", rappelle l'historien Patrick Kamoun.
"Les ouvriers vivaient, et bien souvent travaillaient, dans une pièce commune insalubre", et les maladies proliféraient.
Ainsi lorsque La Ruche voit le jour, avec "eau et gaz à tous les étages" et WC dans chaque logement, pour loger les plus modestes - cheminots, journaliers, ouvriers des usines d'électricité - "c'est une avancée sociale phénoménale".
- Logements "très sociaux" -
Pour la droite chrétienne de l'époque, le logement est plus une question morale que sociale: il convient d'améliorer les conditions de vie des ouvriers pour les détourner de l'alcool et l'oisiveté - d'où le nom de La Ruche, évoquant "le tempérament laborieux, paisible et sociable" souhaité pour ses locataires.
Encore sous le choc des révoltes ouvrières de la Commune de Paris en 1871, la classe dirigeante veut inciter les ouvriers à devenir propriétaires, car "celui qui possède ne veut pas abattre l'ordre existant", selon Jules Sigfried.
"Mais à La Ruche, il n'y a pas eu d'accession sociale: les employés qui pouvaient acheter, ne voulaient pas vivre avec les ouvriers, ils se seraient sentis déclassés", explique M. Kamoun. De fait, la cité-jardin duplique la hiérarchie de l'atelier: chefs d'équipes et contremaîtres se voient attribuer un pavillon, les jeunes ouvriers vont dans l'immeuble collectif.
Les locataires se sentent chez eux dans ces logements très sociaux, "deux fois moins chers que les logements sociaux produits aujourd'hui: le F1 est à 255 euros et le F3 à 364 euros, charges comprises", souligne Dominique Demay, directeur territorial du bailleur social Antin résidences, qui gère La Ruche, rénovée pour 3,2 millions d'euros.
Parmi eux, Jean Labaune, 82 ans, a emménagé avec ses parents en 1935. "Ca fait un petit bail. Je suis le plus ancien", dit-il avec fierté, encore ému au souvenir du bombardement du 21 avril 1944 qui mit le feu au pavillon voisin. "C'est mon nid ici, j'ai tous mes repères".
Sur une photo sépia de 1910, sa mère, fillette à l'air sérieux, pose, un ruban blanc dans les cheveux. "Maman travaillait à droite et à gauche, elle déchargeait des fûts aux Magasins Généraux. C'étaient des travaux de chiens", se souvient-il.
Par respect pour les locataires âgés comme lui, les travaux de rénovation ont été menés à un rythme paisible, sans déplacer quiconque.
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