L'ancien champion du redressement fiscal en France est jugé depuis lundi pour fraude et blanchiment, au côté de son ex-épouse, pour son compte caché à l'étranger. Le tribunal de Paris suspecte la banque genevoise Reyl et son patron, François Reyl, d'avoir participé au blanchiment en renforçant l'opacité des avoirs.
Jérôme Cahuzac, chirurgien esthétique quand il ouvre un premier compte en Suisse en 1993, est député socialiste quand, en 2009, il dit être alerté sur une évolution de la fiscalité internationale qui pourrait mettre en péril le secret de son compte suisse, code Birdie.
Pour la première fois, il affirme qu'Hervé Dreyfus, gestionnaire de fortune et demi-frère du fondateur de la banque Reyl, lui a dit d'aller "à Genève pour procéder à des modifications" s'il veut "conserver sa confidentialité". M. Dreyfus, mis en examen dans cette affaire, a bénéficié d'un non-lieu.
Jérôme Cahuzac se rend en Suisse, "priant pour qu'on ne le reconnaisse pas", et rencontre François Reyl le 20 mars 2009.
Les deux hommes n'ont pas du tout le même souvenir de ce rendez-vous, qui a lieu exactement une semaine après l'annonce par la Suisse de la levée du secret bancaire.
"J'ai demandé à la banque Reyl de m'assurer la plus grande discrétion. Pour le reste, c'est la banque qui m'a proposé des solutions. J'ai signé ce qu'on m'a donné", a affirmé le ministre déchu.
François Reyl secoue la tête: "c'est Jérôme Cahuzac qui a demandé le transfert à Singapour et nous lui avons offert la technicité nécessaire". "Je n'ai pas du tout ce souvenir-là", rétorque Cahuzac.
François Reyl explique qu'il propose à son client "un basculement de son compte sur une société panaméenne", ce qui avait pour avantage qu'il restait l'ayant droit mais disparaissait des écritures liées aux mouvements du compte.
- Le 'dilemme du banquier suisse' -
C'est ainsi qu'apparaît la société panaméenne Penderley Corp le 20 mars 2009. L'argent - quelque 600.000 euros - suit en juillet. Dans un second temps, entre octobre et novembre, les avoirs sont transférés vers une deuxième société créée aux Seychelles (Cerman limited group), laquelle nichera son compte à Singapour, à la banque Julius Baer.
C'est là aussi qu'apparaît l'ex-avocat genevois basé à Dubaï, Philippe Houman, jugé pour blanchiment: à la barre, il détaille avec gourmandise son ingénieux montage. Il est mandaté par Reyl Singapour, filiale tout juste créée, sera administrateur de Cerman via une de ses sociétés basée aux Samoa et donnera un mandat de gestion à Reyl: en résumé, rien ne change pour Birdie.
"Rien d'illégal", assure l'homme d'affaires, qui n'a "jamais demandé les motivations de Jérôme Cahuzac". "Le fait qu'il soit parlementaire français est pour moi une sorte de gage de sérieux". La salle bruisse.
Rien d'exceptionnel non plus pour François Reyl, qui a expliqué "l'insupportable dilemme du banquier suisse", tiraillé entre "l'exigence morale" de transparence et "la législation suisse" qui ne punit pas l'évasion fiscale.
Le président Peimane Ghaleh-Marzban veut savoir ce qui a motivé cette fuite en avant. Cahuzac, le brillant député, a "peur de tout perdre".
Mais pourquoi avoir choisi Panama ? "La garantie de confidentialité", qui "n'est pas nécessairement motivée fiscalement", répond le banquier Reyl, suggérant qu'on peut vouloir "se cacher d'un enfant naturel" ou de la curiosité de "sa concierge".
"On ne passe pas par Panama parce qu'on veut cacher son compte à sa concierge", soupire le président.
L'examen des comptes se poursuivra lundi: restent à examiner ceux ouverts par Patricia Cahuzac à l'île de Man et ceux de la mère de l'ex-ministre, qui ont accueilli des chèques de patients anglais de la florissante clinique d'implants capillaires des ex-époux.
Une fraude "sophistiquée" et "familiale" pour les juges qui ont instruit ce dossier, qui fut le plus retentissant scandale du quinquennat.
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