L'ancien élu socialiste, héraut de la lutte contre l'évasion fiscale, boxeur à ses heures, est resté un orateur hors pair. Lundi, il a savouré l'effet de sa déclaration lâchée dans la torpeur de l'après-midi: le premier compte ouvert à sa demande en Suisse en 1992 par un ami était destiné à "financer" le courant politique de Michel Rocard.
C'est la première fois qu'il affirme que ce compte ouvert à la banque genevoise UBS par l'avocat proche de l'extrême droite Philippe Péninque a servi "pendant sept mois, de novembre 1992 à mai 1993", au financement des activités d'un homme dont il espérait "qu'il aurait un destin politique national".
Il est "certain que Michel Rocard ignorait tout", mais refuse de livrer le moindre nom au sein de l'équipe de l'ex-Premier ministre socialiste (1988-1991), décédé le 2 juillet.
Il n'est pas jugé pour cela: un temps évoquée dans la presse, la piste du financement politique n'avait pas été retenue par les juges d'instruction. Invité à donner des détails, Cahuzac a dit avoir démarché des laboratoires pharmaceutiques et affirmé que Pfizer avait effectué "deux versements".
Cette nouvelle "vérité" de Jérôme Cahuzac a inspiré du "dégoût" au Premier ministre Manuel Valls, ancien du cabinet Rocard, et de l'ironie aux internautes qui ont listé une série de "trucs qui sont en fait de la faute de Michel Rocard #BlameItOnRocard", de "l'extinction des dinosaures" à "l'assassinat de Kennedy".
- 'Aller dans les détails' -
Une seule certitude, l'ex-ministre menteur a encore menti: était-ce devant les juges d'instruction ou au tribunal? a demandé le procureur Jean-Marc Toublanc. Est-ce que l'argent versé en Suisse ne provenait pas plutôt des activités de lobbying du chirurgien, alors tout juste sorti du cabinet du ministre de la Santé Claude Evin?
Jérôme Cahuzac a vigoureusement nié tout lobbying, défendu sa trajectoire de jeune chirurgien happé par la politique, reconverti dans l'implant capillaire et le conseil, "en toute transparence".
Il a expliqué au tribunal qu'après la déroute socialiste aux législatives de 1993, il avait "tout arrêté". L'argent accumulé sur ce premier compte - 3 millions de francs, ce qui équivaudrait aujourd'hui à quelque 600.000 euros - est alors transféré sur un nouveau compte ouvert en juin à l'UBS par Cahuzac lui-même.
C'est ce compte n°557847, nom de code "Birdie" - "un coup d'avance" au golf -, qui va faire l'objet d'un examen minutieux mercredi. C'est à partir de ce compte, transféré à la banque Reyl en 1998, que les fonds vont se promener de Genève à Panama, de Panama aux Seychelles, pour atterrir enfin à Singapour.
C'est de cette fraude "sophistiquée" dont l'ancien ministre doit répondre. Pour fraude fiscale et blanchiment, Jérôme Cahuzac encourt jusqu'à sept ans de prison et un million d'euros d'amende.
Jugés avec lui, son ex-épouse Patricia Ménard, qui a elle aussi dissimulé de l'argent à l'étranger, et leurs anciens conseillers, le banquier François Reyl et l'ex-avocat Philippe Houman.
Le président de la 32e chambre correctionnelle, Peimane Ghaleh-Marzban, a prévenu qu'il faudrait "aller dans les détails", pour "comprendre" comment un ministre chargé du redressement fiscal de la France a pu avoir un compte caché en Suisse.
Le scandale, qui éclate fin 2012 avec les révélations du site d'informations Médiapart et dure des mois car le ministre nie, a fait tanguer le gouvernement, puis conduit à la création d'un parquet national financier et d'une Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Le procès est prévu jusqu'au 15 septembre.
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