Dans leur salle de gavage de Caupenne (Landes), les époux Lalanne rejouent avec un sourire appliqué des gestes interdits depuis avril. Un premier lot de canards est au gavage (maïs cuit, deux fois par jour) depuis mardi, partira à l'abattoir sous huit jours. Dans une canetonière à distance, l’éleveur couve du regard un lot de canetons arrivé lundi et qui "sera sur les tables à Noël".
"Reprendre, c'est un soulagement, oui", lâche Ghislaine, qui rappelle les "quatre mois sans revenus" (malgré un acompte d'indemnités) pour son ménage qui vit à 70% du canard. Mais un soulagement "teinté de stress, sous une épée de Damoclès", depuis les quelques nouveaux foyers d'influenza découverts en juillet-août dans trois des départements visés par le vide sanitaire jusque mi-mai.
Mauvaise pratique isolée ? Problème lié au transport ? A un investissement de biosécurité qui n'a pas été --pas pu être-- fait ? "On n'a pas de retour, on ne sait pas ce qu'il y a eu derrière ces cas-là", gémit Ghislaine. "Alors on ne vit pas sereinement. On nous a fait faire un grand vide et dit que cela devrait suffire. Mais si ça revient, on fait quoi...?"
- Un "avant" et un "après" -
"Il n'y a jamais eu autant de contrôles, de prélèvements, or les lots touchés représentent moins de 2%. Il y a quatre mois, c'était à 60-65%. La pression virale a drastiquement baissé", tempère Fabien Chevalier, directeur général d'un illustre transformateur (Lafitte), aux forts liens de fidélité avec 80 producteurs locaux -cinq furent directement impactés- et plusieurs chefs étoilés.
En blouse stérile, masque et bottes, il inspecte avant l'aube l'arrivage des canards à abattre, sur les "quais" de l'usine Lafitte de Montaut où, du format des cages à leur lavage en machine puis inspection une à une, l'exigence a partout monté d'un cran depuis "la" crise.
Sécurité, transparence, traçabilité, qualité... "Il y a certaines valeurs qui vont ressortir de cette crise", veut croire Fabien Chevalier, aussi administrateur au Comité interprofessionnel des palmipèdes à foie gras (Cifog). "C'est sûr, il y aura un +avant+ et un +après+".
Mais dans ce sud des Landes (25% du canard français, premier département producteur) fief de "petits faiseurs" (éleveurs-gaveurs ou conserveurs de petite échelle), beaucoup ont l'impression d'avoir été les plus "handicapés": peu ou pas de stock au début de la crise, biosécurité lourde à instaurer et reins évidemment moins solides que les gros. Face aux investissements et au risque, "s'il y a un autre arrêt de production, on est morts", ont assuré plusieurs à l'AFP.
- "Des heures à faire le transformiste" -
Chacun pourtant s'évertue à rentrer dans les "nouveaux clous": zones-tampons, sas de désinfection entre unités de production, changements de tenue à chaque aller-venues entre les lots... "Un truc de fou ! Des heures de la journée passées à faire le transformiste", peste Serge Mora, responsable du "gras" au syndicat Modef (Mouvement de défense des exploitants familiaux), et lui aussi au Cifog.
Jean-François Lalanne s'interroge aussi in fine sur l'efficacité de ces mesures "extrêmes". Convaincu que c'est ailleurs, "dans la surdensité, dans les transports" que résident les risques, au moins autant que dans de petits élevages en mode "autarcique", surtout pour ceux qui se plient comme lui au déjà lourd cahier des charges du Label rouge.
"On nous a un peu soupçonnés comme des malpropres", maugrée Serge Mora, conscient pourtant que la crise "a éveillé les consciences" sur des choses qui "n'auraient jamais dû être faites" dans la filière.
Au terme d'une année qui aura vu disparaître 25 à 30% de la production, le canard revient. Mais -investissements et normes obligent-- il coûtera plus cher. Autour de 20% cette année, prédisent les professionnels. A relativiser, s'agissant d'"un +produit plaisir+, un +produit d'excellence+, que les Français ne consomment en moyenne que deux fois par an", rappelle M. Chevalier.
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