"La lutte de Saint-Bernard a ouvert des brèches importantes, notamment dans le fait que les sans-papiers n'acceptent plus la fatalité. Ils s'organisent, et font partie du paysage des luttes sociales de France"", estime Jean-Claude Amara de Droits devant!
Le 23 août 1996 à l'aube, les gendarmes mobiles ouvraient à coups de hache la porte de l'église Saint-Bernard (XVIIIe) et évacuaient 300 étrangers en situation irrégulière, qui l'occupaient depuis deux mois. L'opération avait suscité une vive polémique contre le gouvernement de droite d'Alain Juppé.
Dans le sillage de l'émotion suscitée, "l'opinion publique a énormément changé son regard sur les sans-papiers", affirme à l'AFP Jean-Claude Amara.
Le responsable en veut pour preuve le changement de lexique: "Quand ils ont occupé l'église Saint-Ambroise en mars, on parlait de clandestins. Lorsqu'ils se sont installés à Saint-Bernard en juin, ils sont devenus des sans-papiers. Ensuite, on s'est mis à parler de travailleurs sans-papiers. On avait gagné la bataille des mots."
- Plus de 80.000 régularisations -
Au-delà, le mouvement des sans-papiers de Saint-Bernard allait surtout aboutir en 1997 et 1998, sous le gouvernement de gauche de Lionel Jospin, à la régularisation de plus de 80.000 d'entre eux.
"C'était une forme de reconnaissance de la demande de dignité de ces travailleurs, parce qu'il s'agissait de travailleurs, qui étaient exploités", souligne Geneviève Jacques, la présidente de la Cimade.
Ces immigrés, originaires surtout du Mali et du Sénégal, demandaient leur régularisation au nom de leur longue présence en France. Beaucoup avaient des enfants nés en France et n'étaient pas expulsables.
Vingt ans après, où en est-on?
D'un côté "l'opinion semble, selon certains sondages, être restée favorable à la régularisation, ce qui peut sembler étonnant vu le repli identitaire que l'on constate par ailleurs", explique Maryline Poulain, chargée de l'immigration à l'antenne parisienne de la CGT.
Mais, du point de vu réglementaire, "on est sur un statu quo sur les mêmes problématiques" puisque "des pans entiers de l'économie -bâtiment, nettoyage, aide à domicile ou restauration- dépendent des sans-papiers", ajoute la responsable syndicale. Elle estime "entre 200 et 400.000" le nombre de travailleurs sans-papiers en France.
- "Où sont les figures morales?" -
Certes, il y a eu depuis les grèves de 2008 et 2009 qui ont abouti à la régularisation de plusieurs milliers de travailleurs, ajoute-t-elle. Il y a eu aussi la "circulaire Valls" en novembre 2012 clarifiant les critères de régularisation.
Mais ces critères restent "extrêmement restrictifs", selon elle, puisque "c'est au travailleur sans-papiers d'apporter la preuve, fiches de paie à l'appui, de sa présence sur le territoire".
"C'est une forme de subordination qui reste exorbitante, et cela maintient une population dans l'ombre et la vulnérabilité, avec des risques d'exploitation", soupire Maryline Poulain, qui s'est battue depuis 2014 pour la régularisation des coiffeuses africaines du quartier Château d'Eau à Paris.
Vingt ans après, la problématique semble aussi s'être déplacée sur la question des migrants, qui focalise nombre de craintes à l'heure de la crise économique et de la menace terroriste. Mais le regard méfiant porté sur eux traduit "le même déni de réalité", estime Geneviève Jacques de la Cimade, qui dénonce une "absence de réalisme au nom de la crainte de l'appel d'air".
A quelques centaines de mètres de l'église Saint-Bernard, les campements de migrants se font et se défont en effet dans la capitale, "avec toujours une forte solidarité locale", souligne-t-elle.
Mais à la différence de 1996, qui avait vu l'engagement de l'Abbé Pierre, du cancérologue Léon Schwartzenberg ou de l'actrice Emmanuelle Béart, les personnalités se font discrètes sur la question des migrants.
"Ou sont les grandes figures médiatiques, morales? Il serait important qu'elles s'engagent", estime Geneviève Jacques: "Il y a là un appel à lancer."
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