Ils sont 100, 200, parfois 300, en général originaires d'Erythrée, d'Ethiopie ou du Soudan, essentiellement des hommes seuls mais aussi des femmes et enfants. La plupart ont quitté volontairement leur centre d'accueil et restent là une nuit ou deux avant de poursuivre leur voyage vers le nord de l'Europe, pas forcément conscients que les frontières sont désormais closes pour eux.
"Quand les débarquements ont repris au printemps, peu à peu nous avons vu s'installer une tente, puis deux, puis trois", raconte Andrea Costa, un bénévole de l'association Baobab Experience, qui tenait un centre d'accueil autogéré rue Cupa.
Mais le propriétaire a souhaité récupérer les lieux et le centre a été fermé. Les discussions avec la mairie pour trouver une alternative s'éternisent et les migrants se sont installés dans la rue, devant le portail de l'ancien centre.
"Chaud devant!" Des bénévoles posent une lourde marmite de riz bouillant sur une table de cantine. En file indienne, chacun vient remplir son assiette en plastique.
L'intendance est assurée temporairement par deux jeunes Suisses arrivés des camps de Calais et Grande-Synthe (nord de la France) avec leur cuisine mobile, après un crochet par Côme, à la frontière suisse, où environ 500 migrants, désormais systématiquement refoulés, campent dans un parc près de la gare.
La situation est également tendue à Vintimille, à la frontière française, où 600 migrants patientent dans un centre de la Croix-Rouge.
Et l'inquiétude gagne aussi Milan, où 3.300 migrants et réfugiés campent dans la gare et dans les rues dans l'espoir de pouvoir prendre un train pour le nord de l'Europe.
Plus de 100.000 migrants ont débarqué cette année sur les côtes italiennes, et si ce total est quasiment identique à celui de l'année dernière à la même époque, le contexte est radicalement différent.
- "Petits Idomeni" -
"Les frontières nord sont de fait fermées, les migrants ne passent plus. A Vintimille, à Côme, à Milan, à Rome, nous craignons la création de +petits Idomeni+", s'alarme Andrea Costa, en référence au camp évacué en juin à la frontière gréco-macédonienne.
Si les 35.000 migrants ayant transité par le centre Baobab l'année dernière ont pour la plupart quitté l'Italie, il voit de plus en plus de migrants revenir rue Cupa après avoir été refoulés à la frontière.
Maroma, Soudanais de 19 ans, est déjà passé par Vintimille mais a été arrêté par la police et renvoyé dans le "hotspot" (centre d'identification) de Tarente, à la pointe sud de la péninsule. Une fois ressorti, il est de nouveau à Rome et compte bien repartir vers le nord.
Mahmad Karim, un autre Soudanais, tire un bloc-notes de sous son matelas: il veut apprendre l'anglais, et commence par l'alphabet latin. "L'obstacle pour moi c'est la langue, pas les frontières", lance-t-il dans un éclat de rire.
Tous ont déjà derrière eux des semaines, des mois, voire des années de périple à travers le désert, la Libye, la Méditerranée... "Ils n'ont plus d'argent et plus rien à perdre. Tenter de passer la frontière, ça devient presque un jeu", prévient Andrea Costa.
Depuis fin 2015, sous la pression de l'Union européenne, l'Italie s'emploie à identifier systématiquement les migrants débarquant sur ses côtes, ce qui les empêche de déposer une demande d'asile dans un autre pays européen, à moins d'être intégrés au programme de relocalisations qui reste encore grippé et ne leur permet de toute manière pas de choisir leur pays d'accueil.
Et si les demandeurs d'asile sont donc toujours plus nombreux en Italie - plus de 144.000 actuellement dans les structures d'accueil, contre 66.000 en 2014 et 103.000 en 2015 -, d'autres ne renoncent pas à essayer d'aller ailleurs.
"Il ont besoin d'informations, plus que de nourriture", reconnaît Andrea Costa. Après le dîner, il sort donc des cartes de l'Europe et tente d'expliquer à ceux qui prévoient de se mettre en route le lendemain que l'Italie n'a pas de frontières avec l'Angleterre.
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