Cela fait près d'un demi-siècle que cet artisan de 69 ans fabrique des sanshin, l'instrument typique à trois cordes de l'archipel subtropical japonais.
Couvert d'une peau de serpent, cet objet en bois à l'allure de banjo est depuis des siècles au coeur du riche folklore musical de la chaîne d'îles, et le son nasillard qu'il produit anime mariages, festivals et autres célébrations, tout comme il adoucit les funérailles.
Assis à même le sol dans une pièce minuscule au mur orné d'une paire de cornes de boeuf, M. Nakamine décrit avec passion son travail. Bien plus que la simple réalisation d'un instrument, c'est comme mettre au monde un enfant, explique-t-il. Et "quand je le vends aux musiciens, j'ai l'impression de marier ma fille".
Créer un sanshin - dont le nom signifie "trois cordes" en japonais - peut prendre plusieurs semaines, pour un coût qui peut atteindre 500.000 yens (4.440 euros) pour les modèles les plus sophistiqués.
"Cet art est basé sur de très vieilles coutumes. C'est complexe mais très excitant", dit-il. "Je dois trouver comment façonner la structure à partir de son centre, avec le meilleur équilibre et de la plus belle manière".
Mais Nakamine - qui a déjà choisi le morceau de musique pour son enterrement - fait partie d'une lignée en voie de disparition. Il estime qu'il ne reste plus qu'une cinquantaine de fabricants professionnels de sanshins à Okinawa.
Cet archipel situé à quelque 650 kilomètres au sud-ouest des quatre îles principales du Japon faisait autrefois partie du royaume des Ryuku, avant d'être annexé par Tokyo en 1879.
Pendant des centaines d'années auparavant, ce territoire indépendant et prospère payait tribut à la Chine où un instrument similaire à trois cordes, le sanxian, a servi de modèle pour ce qui devint un jour le sanshin, et plus tard le shamisen japonais.
- Palette d'émotions -
Okinawa, théâtre de certains des plus féroces combats de la Seconde Guerre mondiale, est devenue un territoire américain après la reddition du Japon en 1945. L'archipel est ensuite repassé sous le contrôle de Tokyo en 1972. La préfecture abrite toujours de nombreux soldats américains.
Pendant la difficile période d'après-guerre, certains amateurs de sanshin durent se résoudre à utiliser des versions de fortune de l'instrument, fabriquées à partir d'un bout de bois et de boîtes de conserve.
"Jouer du sanshin était réconfortant et aidait à évacuer le stress", se souvient le musicien Tatsuo Chinen dans un bar dédié à cet art à Naha, chef-lieu d'Okinawa.
Mais ce n'est pas qu'un instrument du passé. "De nombreux jeunes sont intéressés et viennent jouer à Okinawa", assure-t-il.
Pour ses adeptes, le sanshin reste un puissant rappel de l'histoire d'Okinawa et ses sonorités mélancoliques le reflet d'une vaste palette d'émotions, de la profonde tristesse à l'explosion de joie.
Il captive tant que certains insulaires préfèrent s'y adonner ou écouter des concerts, plutôt que d'aller travailler, plaisante Seibun Nakamine. "Les Okinawais aiment prendre du bon temps", sourit-il.
Le sanshin ne végète pas dans un folklore désuet mais s'immisce dans d'autres genres musicaux, de la pop au rock, au sein des groupes du paradisiaque archipel.
Le fabricant essaie donc d'ajuster le plus précisément possible l'instrument à la voix et au style musical de ses clients.
"Si vous essayez de façonner le son du sanshin une fois terminé, c'est déjà trop tard", explique cet homme aux mains ridées par le soleil.
Son carnet de commandes peut parfois s'étaler sur plus de dix mois.
"En tant qu'artisans, nous faisons de notre mieux pour produire un excellent instrument. Mais au final nous n'officions que dans l'ombre du musicien, c'est lui qui juge si un sanshin est bon ou mauvais", dit Seibun Nakamine modestement.
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