Sous le chapiteau comble du petit village gersois de Marciac, Ahmad Jamal avance sur scène sa frêle silhouette, trop fine pour tendre les plis impeccables de sa tunique musulmane.
La démarche est hésitante, le pas fragile. Mais l'homme, une fois assis face au Steinway and Sons, se révèle: sous un tonnerre d'applaudissements, les doigts fins se promènent sur les noires et blanches avec une facilité qui dénote 83 ans de pratique: Ahmad Jamal s'est installé devant un piano pour la première fois à l'âge de trois ans.
Le "prestidigitateur" ou le "magicien", comme on le surnomme, n'a rien perdu de sa virtuosité. Il est pourtant né il y a 86 ans à Pittsburgh, en Pennsylvanie, où ont vécu les plus grands: le batteur Kenny Clarke mais aussi le pianiste Erroll Garner, avec qui Jamal use les mêmes bancs de l'école primaire et secondaire.
A 10 ans, Ahmad Jamal compose et dirige des orchestres. A 17 ans, il parcourt les scènes de son pays, dont le prestigieux Apollo de Harlem, où il joue dès 18 ans.
Il explore ce qu'il appelle "la musique classique américaine". "Certains la surnomment jazz", dit-il dans un sourire. Et en 1951, il forme son groupe. La même année, il se convertit à l'islam et change son nom, Frederick Russell Jones, en Ahmad Jamal.
Un an plus tard, il rejoint les légendes. "J'ai partagé la scène avec Duke Ellington à Carnegie Hall, à New York, en 1952, avec Charlie Parker, Billie Holiday, Stan Getz, Dizzy Gillespie. Je suis le seul encore en vie. Je suis un monument vivant".
Au cours de sa formidable carrière, il fait naître un style influencé de l'époque des "Big Bands" à la Duke Ellington, en passant par le bebop, le cool jazz et l'électronique. Beaucoup avoueront avoir été inspirés par Jamal, en particulier Miles Davis et Herbie Hancock.
Il a accumulé les trophées, comme le très prestigieux "NEA Masters Award", la plus haute récompense pour le jazz. Mais l'une des distinctions dont l'Américain est le plus fier est le titre d'Officier de l'Ordre des Arts et des Lettres, que la France lui a décerné en 2007.
- Une ode à Marseille -
"J'ai toujours eu une relation spéciale avec la France", confirme le pianiste à l'AFP. "Vous avez attiré à vous des gens comme Sydney Bechet, qui est enterré ici, Josephine Baker, Dexter Gordon... Vous avez quelque chose qu'on aime".
Marseille en particulier plaît au francophile, à tel point qu'il vient d'enregistrer deux albums portant le nom de la ville et qui sonnent comme une ode à la cité phocéenne.
"Marseille, mon coeur souvent cherche ta caresse. Marseille, ta voix ne cesse de m'appeler. Marseille, ville d'éternité", chantait jeudi soir en français, dans le chapiteau de Marciac, la Franco-Béninoise Mina Agossi, sur les notes légères du maestro Jamal.
Le petit village de Marciac, envahi chaque année par des dizaines de milliers d'amateurs lors du "JIM" (Jazz in Marciac), occupe aussi une place spéciale dans le coeur de l'Américain.
"Je ne me souviens plus combien de fois je suis venu ici", dit Jamal, tandis que les organisateurs parlent de "cinq ou six" participations, sans être beaucoup plus sûrs.
"Marciac a quelque chose d'unique. C'est un phénomène. Je n'aime pas les grandes villes. J'aime les villages. Ici, il y a une bonne ambiance. C'est très chaleureux".
C'est à la scène gersoise que, en 2014, il avait accordé son dernier concert, avant d'annoncer qu'il prendrait sa retraite. Et c'est pour la 39e édition du JIM (jusqu'au 15 août), et seulement pour le JIM, qu'il a accepté de se produire à nouveau, pour une seule et dernière représentation dans le monde.
"On m'appelle tout le temps pour des concerts mais j'ai choisi de venir ici. C'est un festival très spécial".
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