Organisée chaque été entre des collines vert émeraude par 3.700 mètres d'altitude, la fête équestre de Yushu est supposée emblématique du soutien du gouvernement chinois à la culture tibétaine dans ses plus beaux atours.
Dans le public, on croisait certes fin juillet des moines en tuniques pourpres et des femmes parées de fins bijoux en turquoise, ambre et corail sur leurs robes à motif floral. Mais derrière l'apparat folklorique, cette fête désormais encadrée par les autorités communistes témoigne surtout de l'impact d'une modernisation à marche forcée et du durcissement du contrôle gouvernemental sur la région, occupée en 1951 par l'armée de la Chine populaire.
Sonam Dolma, Tibétaine de 51 ans, érige une tente près d'un monticule parsemé de drapeaux de prière pour y vendre des bouteilles d'eau, de Coca-Cola et de Red Bull, tout en se souvenant de fêtes équestres annuelles autrement plus impressionnantes durant son adolescence, à l'époque où elle-même aidait à dresser des chevaux sauvages pour sa famille éleveuse de yacks.
"Le niveau était vraiment élevé. Les chevaux étaient immenses et costauds", souligne-t-elle. Désormais, les animaux sont petits et moins rapides, car "les meilleurs chevaux ont été vendus" à mesure qu'arrivaient les véhicules motorisés.
Beaucoup de Tibétains ont renoncé au nomadisme pour s'installer en ville, dans un vaste mouvement d'urbanisation initié par Pékin. Et ceux qui restent dans les prairies préfèrent rouler en moto.
"Je ne suis plus très bon à cheval", confie à l'AFP Jargaringqin, un nomade de 31 ans mâchonnant du yack séché devant un fourneau où brûlent des bouses.
- Des Tibétains sous contrôle -
Situé dans la province chinoise du Qinghai, Yushu (Jyekundo en tibétain) est habité par les Khampas, population s'identifiant aux Tibétains mais parlant un dialecte distinct.
Dans les années 1950, les Khampas avaient été en pointe de la résistance acharnée des Tibétains contre l'avancée de l'armée chinoise, avant d'être écrasés après la fuite en Inde du dalaï-lama en 1959.
Les fusils, longtemps confisqués aux éleveurs locaux, font maintenant leur retour pour des démonstrations touristiques. Tout comme la fête équestre: cinq jours durant lesquels des cavaliers rivalisent de vitesse et d'agilité.
L'évènement avait été suspendu plusieurs années à la suite du tremblement de terre qui ravagea Yushu en 2008. A la faveur du processus de reconstruction, les autorités ont édifié un stade de courses équestres avec stalles en béton.
Des officiels du Parti communiste contrôlent la fête, déterminant qui participe aux courses, finançant les frais de voyage des cavaliers et des archers, offrant de l'argent aux vainqueurs.
"Je décide de qui prend part à la compétition. C'est la troisième année (que je m'en occupe)", sourit une femme Han - ethnie majoritaire composant l'essentiel de la population chinoise -, membre de l'administration des sports de Yushu.
La cohabitation inter-ethnique reste difficile: selon des ONG, cinq résidents se sont immolés par le feu depuis 2012 à Yushu pour protester contre les Chinois, accusés de réprimer la culture des régions tibétaines.
Le spectre d'un incident hantait fin juillet la fête équestre: des dizaines de membres de forces paramilitaires encadraient le public, où patrouillait un groupe de pompiers munis d'extincteurs.
"Ces dernières années, le gouvernement contrôle toujours plus drastiquement les Tibétains. Nous ne pouvons plus nous rassembler à notre guise", commente un jeune local sous couvert d'anonymat, sirotant une bière. "Ici, c'est un évènement du gouvernement !"
- Cheval contre moto et 4x4 -
Les autorités assurent avoir simplement dopé les recettes touristiques, dans une région où existent peu d'autres moteurs de croissance. Pour les Chinois Han, le Kham semble une région mystérieuse et exotique.
"C'est magnifique ici, et les cavaliers sont impressionnants", commente Zhao Xu, Chinois Han guide touristique. "Et les hommes Khampas sont réputés pour leur beauté et leur longue chevelure flottante".
Si les touristes affluent, les locaux semblent rétifs: les festivités, naguère un évènement incontournable pour toute la population des alentours, n'accueillaient la semaine dernière qu'un public clairsemé.
L'urbanisation est arrivée "trop rapidement", au détriment des traditions, déplore Dorje, Tibétain membre du comité local du Parti. Près de 50% des habitants du Qinghai habitent désormais en ville, contre 40% une décennie auparavant.
"C'est bien de déplacer les gens vers les villes, mais où sont les emplois?", demande-t-il. "L'existence de berger était certainement meilleure".
Meiduo Lasang, la jeune fille de Sonam, est d'un autre avis: étudiante dans la capitale provinciale, elle veut devenir photographe ou styliste.
Posant sur la croupe d'un pur-sang pour une photo, elle commente: "Nous n'avons plus de chevaux par ici. Tout le monde en possédait avant, quand les transports étaient arriérés. Maintenant, nous avons des véhicules. Plus besoin de chevaux".
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