Mercredi, parmi quelques passants matinaux, un jeune homme rôde sur la place du Pont Neuf. Au passage d'un couple, il marmonne "Locks! Locks!" ("cadenas, cadenas") en brandissant un trousseau de petits cadenas noirs.
Ravindu est Sri-Lankais. Il s'agit pour lui de vendre un maximum de ces "cadenas d'amour" que les touristes aiment accrocher aux grilles des ponts avant d'en jeter la clé dans la Seine en gage "d'amour éternel".
Il en vend une vingtaine par jour, "achetés en gros dans le 18e", un peu plus quand "les groupes de touristes chinois viennent", explique-t-il. Son prix? "de 5 à 10 euros selon la taille", dit-il dans un français mêlé d'anglais.
Mais mardi, la Ville de Paris a entamé une campagne pour dissuader les touristes d'en acheter. Sur plusieurs panneaux, des affiches proclament: "Stop aux cadenas". Des panneaux identiques à celui du Pont Neuf ont été posés sur la passerelle Léopold Sedar Senghor, près du Musée d'Orsay.
Une affiche est également collée sur une barrière de chantier qui camoufle une grille affaissée par le poids des cadenas. Dans un coeur rouge, un slogan: "Nos ponts ne résisteront pas à votre amour."
Ces cadenas "bouchent les perspectives sur la Seine, une des plus belles perspectives au monde, classée par l'Unesco", explique Bruno Julliard, premier adjoint à la maire de Paris Anne Hidalgo.
Outre la préservation du patrimoine, la sécurité doit être assurée car ces cadenas provoquent des risques de chute: "Ce sont des centaines de kg et les panneaux tombent", dit-il.
Pourtant, les grilles sur la place du Pont Neuf sont envahies. Du doré clinquant, des teintes ternies par la rouille, des cadenas de couleurs. Des prénoms et des coeurs gravés en arabe, anglais ou chinois.
- 'L'amour, ce n'est pas s'enchaîner' -
Stéphane et Christine n'ont pas résisté à l'appel de Ravindu. Ils ont acheté un petit cadenas, ont inscrit au feutre "S+C" dessus. "J'ai bien vu les affiches d'interdiction, mais cela fait quand même 21 ans que nous sommes ensemble, il fallait marquer le coup, avant que notre fille ne le fasse avec son amoureux", plaisante Christine, venue de Strasbourg, qui mitraille le gage d'éternité avec son smartphone.
Jaycean West, lui, est venu d'Australie. Il prend des photos de la vue. "Je trouve ce pont vraiment génial. Je ne suis pas sûr qu'il soit vraiment permis d'accrocher des cadenas ici. Il doit y avoir des risques pour l'environnement et les gens qui passent sous le pont", ajoute-t-il.
En 2015, la mairie avait retiré les grilles du Pont des Arts ou "pont des amoureux", remplacées par des panneaux vitrés. Saturées de petits verrous, les grilles ployaient dangereusement.
Mais le rituel n'est pas spécial à "la capitale du romantisme". A Rome et Moscou, les mairies excédées, ont mis en place des arbres et des poteaux dédiés aux "cadenas d'amour".
Sur le Pont Neuf, un vieil homme au visage mangé par une grosse barbe grise maraude le long des grilles, en portant un sac à dos en jean usé. Guido, 78 ans, pioche dans un attirail de clés miniatures avant de forcer les verrous jusqu'à ce qu'ils cèdent.
Le vieil homme s'est fait une mission d'enlever les cadenas, qu'il emporte avec lui pour les jeter plus tard: "Il faut débarrasser le pont de ces horreurs! Ca abîme le patrimoine français", dit-il. Ce Napolitain de naissance récolte "une centaine de cadenas par jour". "Quelle drôle de conception! L'amour ce n'est pas s'enchaîner", dit-il.
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