Ce ne sont "ni des Supermen ni des Batmen" mais des citoyens "mis dans une situation où ils n'ont pas pu réagir autrement", dépeint la metteuse en scène Gianina Carbunariu, chef de file du nouveau théâtre roumain.
En intitulant sa pièce "Des gens ordinaires", la dramaturge de 38 ans a voulu évoquer une réalité "qui ne concerne pas que des figures célèbres", mais chaque citoyen.
Comme Claudiu Tutulan, père de famille et grande gueule à la large carrure: cet employé de la société nationale roumaine d'autoroutes a dénoncé, avec d'autres collègues, des soupçons d'irrégularités au sein de son entreprise.
Il est l'un des héros de la pièce, basée sur les interviews de huit lanceurs d'alerte -trois Roumains, trois Britanniques et deux Italiens- réalisées par l'auteure.
"Nous les citoyens, nous pouvons éradiquer ce noyau (de corrompus)(...) collés au pot de miel", lance Claudiu dans le spectacle ponctué d'extraits des interviews en vidéo.
"Les lanceurs d'alerte ne sont pas en conflit avec un chef ou mécontents de leur salaire, ils agissent pour le bien public" et dénoncent "la corruption", "l'indifférence ou l'incompétence", explique Mme Carbunariu, dont le théâtre réaliste est joué sur de nombreuses scènes européennes, comme au Festival d'Avignon en 2014.
Au festival international de théâtre de Sibiu, en Transylvanie, les spectateurs ont débattu avec cinq des "héros" dont les trois Roumains, tous employés ou anciens employés de la compagnie d'autoroutes, visée par plusieurs enquêtes gouvernementales.
Deuxième membre le plus pauvre de l'Union européenne, la Roumanie est surveillée étroitement par Bruxelles dans sa lutte contre la corruption. Pas moins de 27 hauts responsables politiques, dont l'ex-Premier ministre Victor Ponta, ont été renvoyés devant la justice en 2015.
Mais le pays est aussi l'un des rares Etats de l'UE à disposer d'une législation de protection des lanceurs d'alerte avec la Slovénie, le Royaume-Uni, l'Irlande et le Luxembourg. La loi reste pourtant très peu connue.
- Sous pression -
Suspendu temporairement par son entreprise après les accusations qu'il a formulées, Alin Goga ne se considère néanmoins pas comme "une victime". "Je me suis levé et je me suis battu. La victime c'est chacun d'entre vous, car c'est votre argent qui est volé", dit-il.
La vie des lanceurs d'alerte "n'est pas facile", "c'est incroyable de voir à quel point les méthodes utilisées en Italie, en Grande-Bretagne et en Roumanie pour les faire taire sont similaires", explique Mme Carbunariu.
Ils sont perçus comme des "mouchards" et soumis aux pressions de leurs chefs, de leurs collègues, et ils risquent leur travail, leur santé, comme le raconte la pièce.
Mais comment faire le tri entre délateurs malveillants et croisés de l'intérêt général ?
Ian Foxley, ancien officier de l'armée britannique qui a dénoncé de présumés pots-de-vin dans une vente d'armes, juge qu'il faut d'abord "comprendre", "enquêter" et "juger après si les lanceurs d'alerte ont raison ou pas". Il a créé en Grande-Bretagne une ONG qui les conseille.
Sur la scène où réalité et fiction se mêlent, les acteurs prennent le public à témoin. La succession de décors gris blafards évoque les labyrinthes bureaucratiques où se débattent les lanceurs d'alerte.
"Quand on joue un tel personnage c'est très dur de comprendre l'absurdité de ce qu'il vit. C'est paradoxal: il a raison mais c'est lui qui tombe malade, qui perd son travail, sa maison", raconte l'acteur Florin Cosulet.
La pièce ne s'enferme cependant pas dans cette noirceur et abonde de répliques pleines d'humour.
Marina, une spectatrice de 44 ans, assure qu'elle lui a insufflé "l'espoir".
Également jouée à Vienne, "Des gens ordinaires" continuera à tourner après l'été.
D'autant que son épilogue, comme celui des affaires relatées, est loin d'être écrit.
"C'est important de voir quelle fin aura mon histoire", y explique Alin Goga. "Si elle finit mal, les gens diront +c'est inutile+ (...) Si je gagne, les potentiels fraudeurs diront: +Vous avez vu ce qui s'est passé (...) c'est moche+".
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