Posée dans les collines près de Peshawar, grande ville du nord-ouest du Pakistan, la bourgade poussiéreuse de Darra Adamkhel est depuis des décennies un point de ralliement pour toutes sortes de criminels et de trafiquants de drogue, d'êtres humains, de voitures et même de faux diplômes.
Ce trafic a atteint son apogée dans les années 80 lorsque les moudjahidines arrivés de l'Afghanistan tout proche venaient s'approvisionner en armes pour combattre les Soviétiques. Après eux sont apparus les talibans pakistanais, qui ont fait de Darra Adamkhel une place-forte, en toute impunité.
Aujourd'hui, seul le commerce des armes a survécu. Mais il dépérit à son tour après des décennies de ventes florissantes, se plaignent les artisans-forgerons du bazar, incriminant à la fois le gouvernement, de moins en moins indulgent à leur égard, et l'amélioration de la situation sécuritaire.
"Le gouvernement du (Premier ministre) Nawaz Sharif a mis en place des points de contrôle partout, le commerce s'est arrêté", se lamente l'un d'eux, Khitab Gul, 45 ans.
Celui-ci est connu à Darra pour ses répliques de pistolet-mitrailleur MP5, l'une des armes les plus utilisées dans le monde, notamment par le SWAT, une unité d'élite américaine.
Le prix d'un authentique MP5 peut atteindre plusieurs milliers de dollars. La version produite par Khitab Gul, accompagnée d'un an de garantie, ne coûte que 70.000 roupies (67 dollars) et, à l'en croire, fonctionne parfaitement.
"J'ai vendu 10.000 armes au cours des dix dernières années et je n'ai reçu aucune réclamation", affirme-t-il, se fendant d'une petite rafale de démonstration avec son MP5 dans la cour de son atelier.
- La fin du Wild West -
Dans son atelier suffocant, les employés s'affairent en hurlant pour couvrir le bruit des générateurs. Avec leurs machines, ils découpent et remontent avec précision des morceaux de ferraille arrivés tout droit des chantiers navals de Karachi, à l'autre extrémité du Pakistan.
A son heure de gloire, le bazar comptait des myriades de petites échoppes fabriquant toutes des armes. Les clients venaient les tester sur place en tirant en l'air.
Bien qu'illégal et sans aucun contrôle, ce commerce a longtemps été toléré par le gouvernement, dont l'autorité est faible dans les zones tribales attenantes à la frontière afghane.
Les habitants pour leur part le considèrent comme légitime et fidèle à la tradition pachtoune de la région, qui associe le culte des armes à feu à celui de la virilité.
"Les ouvriers sont si qualifiés qu'ils peuvent copier n'importe quelle arme qui leur est présentée", dit Khitab Gul. Une kalachnikov made-in-Darra peut se négocier à 125 dollars, affirme-t-il, soit moins que la plupart des actuels smartphones.
Mais les temps ont changé et l'armée fait aujourd'hui activement la chasse aux insurgés dans les zones tribales. La violence est tombée à son plus bas niveau depuis l'émergence des talibans pakistanais en 2007.
Aujourd'hui, plus du tiers des boutiques d'armes de Darra se sont reconverties en épiceries ou dans l'électronique, et la ville, jadis digne du Wild West, se normalise, déplorent les forgerons.
Un atelier comme celui de M. Gul pouvait autrefois produire plus de dix armes par jour, mais n'en fabrique plus que quatre aujourd'hui "faute de demande", regrette-t-il.
- Clients intimidés -
Pour les artisans, la faute en incombe au gouvernement et à l'armée, qui ont hérissé de points de contrôle la route menant à Darra Adamkhel, ne permettant plus aux clients d'y accéder Les étrangers pour leur part sont interdits de séjour pour des raisons de sécurité.
L'armée, si elle ne s'oppose pas directement au commerce des armes, exige désormais que les habitants de cette bourgade s'engagent à ne pas apporter leur aide aux insurgés, expliquent ceux-ci. Parallèlement, les autorités tentent - mollement - de mettre en place un système de licences.
Police et unités paramilitaires étaient postées bien en évidence aux entrées du village, a constaté l'AFP à l'occasion d'une récente visite. Leur présence intimide les clients, déplorent ses habitants.
"Cela fait plus de 30 ans que je travaille ici mais à présent je n'ai plus de boulot", se plaint Muzzamil Khan, assis immobile devant son atelier. "Je suis prêt à vendre mon équipement".
Selon Muhammad Qaisar, qui fabrique des cartouches dans une échoppe du grand bazar, il y a eu jusqu'à 7.000 boutiques en activité, mais près de la moitié ont à présent abaissé le rideau.
Si le gouvernement ne fait pas marche arrière, "je crains (...) que ce ne soit la fin pour Darra", souligne-t-il.
Quelque 3.000 commerces ont fermé, confirme le syndicaliste Badam Akbar, et les ouvriers qualifiés s'efforcent d'apprendre de nouveaux métiers.
"Il n'y a plus rien dans ce bazar maintenant", regrette-t-il. "La vie est devenue très difficile. Les clients ont peur".
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