Sous la pression immobilière, le quartier se vide aussi de ses habitants d'origine.
"On veut me mettre à la porte pour louer ma maison aux touristes !", s'emporte Antonio Melo, un ancien employé de commerce âgé de 70 ans, qui s'est vu notifier par le propriétaire de son immeuble, qui a changé de mains quatre fois en l'espace d'un an, que son bail ne serait pas renouvelé.
"Bientôt, il n'y aura plus que des touristes à Alfama", regrette-t-il, craignant de devoir quitter son quartier d'enfance car, avec sa retraite de 600 euros, il n'a plus les moyens d'y vivre.
Maire de l'arrondissement de Santa Maria Maior, dont fait partie Alfama, Miguel Coelho confirme les inquiétudes de nombreux riverains : "la spéculation observée sur le marché immobilier du centre historique de Lisbonne, qui est très forte à Alfama, provoque de grosses contraintes".
"Les prix d'achat et de location sont exorbitants et les gens sont obligés d'envisager d'autres options", autrement dit quitter ces quartiers, ajoute-t-il.
A l'origine de cette pression immobilière : la "prolifération démesurée" des logements consacrés à la location temporaire, estiment les maires des trois arrondissements du centre historique, qui ont appelé à une intervention "urgente" du gouvernement.
- 'Identité menacée' -
Le tourisme est "un avantage" pour l'économie locale, reconnaît M. Coelho. Mais ces "excès constituent une véritable menace pour l'identité des quartiers".
Cette tendance est particulièrement visible à Alfama, très prisé des touristes, séduits par le charme des ruelles qui s'étendent comme un labyrinthe bâti à flanc de colline, d'où l'on aperçoit l'estuaire du Tage.
"Tous les jours, on voit des agents immobiliers faisant du porte à porte pour dénicher des gens qui seraient prêts à partir", raconte Ana Gago, une étudiante en géographie de 28 ans qui réalise une enquête sur cette pression touristique et immobilière et ses conséquences sur les riverains.
Le nombre des touristes hébergés à Lisbonne via Airbnb, numéro un mondial de la location de logements entre particuliers, a doublé en 2015 et atteint 433.000, selon des chiffres de cette société américaine. L'hôtellerie classique a, quant à elle, accueilli 3,6 millions de visiteurs étrangers l'an dernier, une hausse de 7,5%.
Dans la capitale portugaise, qui figure dans le top 10 des destinations Airbnb dans le monde, cette activité dépasse la simple "économie du partage" que cette entreprise prône : 28% des propriétaires ont plus d'une annonce active sur la plateforme et 73% des propositions concernent un appartement entier.
- Déclin démographique -
Des villes comme Berlin et San Francisco ont pris des mesures pour empêcher des propriétaires de retirer leurs biens de la location longue durée pour uniquement les consacrer au marché touristique et ainsi freiner la flambée des prix de l'immobilier.
Mais au Portugal, frappé en 2011 par une grave crise financière, la location touristique, déjà plus rentable, est encouragée par un taux d'imposition inférieur à celui de la location sur le long terme.
Cette politique, qui vise à attirer des investisseurs étrangers et à ranimer le marché immobilier, a permis la rénovation de nombreux immeubles dégradés. Mais elle risque d'aggraver le déclin démographique de Lisbonne, dont la population s'est réduite à 500.000 habitants, contre 800.000 au début des années 1980.
"C'est bien de rénover, le problème c'est que tous les travaux sont destinés au tourisme. Les gens qui ont vécu ici toute leur vie voudraient que leurs enfants restent dans le quartier, mais c'est devenu impossible", regrette Maria de Lurdes Pinheiro, présidente de l'Association du patrimoine et de la population d'Alfama.
- Cohabitation difficile -
Selon les experts, le nombre des logements disponibles pour la location de longue durée s'est réduit de 33% en cinq ans dans l'ensemble du Portugal et, dans la capitale, les loyers ont augmenté en moyenne de 7,6% entre 2014 et 2015.
L'an dernier, les touristes hébergés à Lisbonne par Airbnb ont rapporté aux propriétaires 43 millions d'euros, auxquels s'ajoutent 225 millions d'euros de retombées indirectes, selon les estimations de cette plateforme.
"Il y a plus d'argent qui circule, mais les habitants sont en train de disparaître", s'inquiète Leonor Duarte, qui vit à Alfama depuis cinq ans.
Cette psychologue retraitée âgée de 63 ans fait partie d'un groupe de Lisboètes qui se sont mobilisés pour demander aux autorités de "freiner la saignée du centre historique".
Comme elle, de nombreux riverains se plaignent d'une cohabitation de plus en plus tendue avec les touristes, qui font du bruit à des heures tardives et prennent toute la place dans les tramways à l'ancienne qui serpentent les rues étroites d'Alfama.
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