Très connue en Suède et en Norvège mais pour la première fois en France, Sofia Jupither, 43 ans, présente deux pièces sombres tirées de faits divers dans un festival d'Avignon lui-même très inspiré cette année par l'actualité (montée du populisme et de l'extrême droite, attentats).
La première d'entre elles, "20 novembre, trouve une résonance particulière après l'attentat de Nice dans lequel au moins 84 personnes ont perdu la vie.
Un jeune homme s'y met en scène pour filmer sa confession, réglant minutieusement le cadre de sa caméra, rangeant soigneusement son sac bourré d'explosifs et son manteau sur une chaise derrière lui.
Tétanisé, le public va l'écouter pendant une heure exprimer sa rancoeur pour un monde où il dit ne pas avoir de place.
Tout y passe: scolarité nulle, solitude dans une école où il se sent rejeté, brimades de la part de ses camarades sans que la direction bouge le petit doigt. Il a pourtant une soeur, des parents aimants, auprès desquels il s'excuse pour son geste.
Mais il semble déterminé à perpétrer un massacre, bien qu'il sache parfaitement que les jeunes qu'il va tuer ne sont pas ses anciens camarades, qui ont depuis quitté l'établissement.
A la fin de son discours, il se tourne vers le public et l'interpelle. Une spectatrice ne peut alors se retenir de lui lancer: "reste avec nous!"
L'impression de réalité est saisissante, et pour cause: la pièce écrite par le Suédois Lars Noren s'inspire de la tuerie commise par un jeune homme de 18 ans dans son lycée d'Emstetten en Westphalie en 2006.
Il a étudié le journal intime de l'adolescent, ses messages sur les réseaux sociaux, visionné la vidéo qu'il a tournée avant de passer à l'acte...
L'acteur David Fukamachi Regnfors incarne avec beaucoup de subtilité ce jeune homme à la fois perdu et terrifiant.
Pas de jugement moral dans la pièce, qui cherche à comprendre sans juger les motivations d'un acte tragique.
- Besoin d'un Ceaucescu -
Dans une seconde pièce, "Tigern", Sofia Jupither met en scène une fable douce-amère: la fuite d'une tigresse d'un zoo, finalement abattue après cinq heures d'errance en ville.
Le texte de la Roumaine Gianina Carbunariu suit comme dans un documentaire la trace de Mihaela la tigresse, par le biais des témoignages des habitants de la petite ville roumaine où elle erre en liberté.
L'auteure roumaine s'est rendue personnellement dans la petite ville pour enquêter et décrit avec un humour ravageur ses compatriotes. Chaque témoin est un concentré d'humanité, avec ses bizarreries et ses lâchetés.
Deux clochards voient Mihaela en premier, lui offrent un coup à boire et lui proposent de la prendre en photo pour vendre ses clichés aux passants.
Le doute s'installe: s'agit-il vraiment d'un animal? Ou d'un étranger exotique? L'ambiguïté redouble avec le vieil homme trop content de l'inviter chez lui ("ma première visite féminine depuis la mort de ma femme") ou ces employés de banque qui tentent de lui vendre un prêt gagé sur sa fourrure!
A travers cette galerie de portraits, l'auteure transmet un climat délétère, qui verse facilement dans la rancoeur. Les deux "clodos" se lamentent du départ de la Tigresse: "encore une du genre allergique au travail".
Le vieil homme vitupère contre les jeunes du quartier qui font du bruit et dégradent les murs. "On aurait besoin d'un Vlad l'empaleur, ou au moins d'un Ceaucescu!", lance-t-il.
"20 novembre" et "Tigern" jusqu'au 17 juillet Théâtre Benoît XII Avignon.
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