En dix-huit mois, ce jeune homme de 35 ans vient de rafler trois contrats pour piloter l'aménagement d'autant de sites de Lyon et sa proche banlieue.
Ni architecte, ni urbaniste, ni promoteur, M. Beaufils fonctionne selon les codes de cette nouvelle génération rétive à l'autorité imposée d'en haut. Il se décrit comme un "community manager", servant d'"interface" entre les professionnels rassemblés autour de ses projets.
Son monde: celui des "slashers", de l'anglais "slash" (/) car ces travailleurs d'un nouveau type peuvent être, par exemple, informaticien/peintre/cuisinier pour survivre dans un monde où les métiers naissent et meurent en quelques années. "Ils n'ont pas de CDI. Ils ne peuvent pas acheter d'appartement. Ni même souvent louer", relève-t-il.
Mais "on ne parle pas de quelques graphistes et designers ici ou là. Il y a maintenant aux Etats-Unis, qui anticipent les tendances, plus de +freelance+ que de salariés", assure-t-il.
- Bosser gratis -
S'il participe aux concours du type "réinventer Paris", lancé fin 2014, Damien Beaufils préfère travailler dans son coin sur des projets nés du hasard et qu'il s'en va proposer "clefs en main" aux collectivités locales.
C'est ainsi qu'il s'est vu confier tout récemment l'aménagement de l'ancienne église Saint-Bernard sur les pentes du quartier frondeur de la Croix-Rousse.
"La mairie nous a dit: +si vous voulez bosser gratis, allez-y ! Mais sachez que les problèmes techniques sont considérables et que personne n'a trouvé de modèle économique rendant possible l'opération+".
L'église nécessitait en effet d'important travaux de consolidation car fissurée depuis le percement du tunnel d'un funiculaire. Restée inachevée, elle était aussi instable car l'escalier monumental qui devait la caler contre le coteau n'a jamais été construit.
La solution proposée par M. Beaufils a été de transformer le bâtiment en centre d'affaires pour jeunes entreprises innovantes, avec d'amples parties communes. L'équilibre économique du projet sera atteint par la création d'une succession de terrasses accueillant cafés et restaurants et reliant l'église à son quartier, comme aurait dû le faire l'escalier initialement envisagé.
Mais son projet serait resté dans les cartons s'il n'avait su convaincre un promoteur, le discret groupe lyonnais Carré d'Or, et deux architectes reconnus, Gilles Perraudin (Équerre d'argent 1987) et Charlotte Vergely (architecte du patrimoine) de le rejoindre.
- Vieux rêve -
Pour la reconversion d'une partie de l'ancienne caserne Blandan, M. Beaufils a gagné l'appel à projet en se présentant avec certains de ces mêmes partenaires, mais en s'adjoignant aussi la Bellevilloise, l'organisateur parisien de spectacles alternatifs.
Myriam Picot, la maire de l'arrondissement, où la moitié de la population a moins de 30 ans, se félicite de la démarche suivie par M. Beaufils pour ce projet phare: "on cherche de la mixité, à recréer des villages. Là, on est en plein dedans", sans pour autant renier le passé militaire du lieu.
A Caluire, une commune résidentielle jouxtant Lyon, M. Beaufils a aidé l'ébéniste Daniel Damidot, 88 ans, à donner corps à son vieux rêve de transmettre son atelier à de jeunes artisans du bois.
Sa première tentative en solo avait échoué, faute de financement. Une seconde, pilotée par un promoteur, avait provoqué une levée de boucliers dans le quartier.
Revu à la baisse, avec un bâtiment entièrement en pierre de taille et en bois dû à M. Perraudin, le projet accueillera finalement en rez-de-chaussée des ateliers d'ébénistes, à l'étage des espaces de "co-working" pour designers de meubles. Et au-dessus, des appartements en colocation.
Dans sa démarche, inverse de celle d'un promoteur classique, M. Beaufils calcule le montant maximum du loyer acceptable et calibre en conséquence le projet. Le gage d'une meilleure acceptabilité sociale mais encore faut-il garantir une marge suffisante au promoteur!
- De Lisbonne au Monténégro -
Loin d'imaginer la mise en musique de ces utopies, Damien Beaufils, "pur produit d'une école de commerce", avait sagement débuté sa carrière dans la finance, comme gestionnaire d'un fonds immobilier à capitaux américain.
Avant de faire son "job out", comme d'autres leur "coming out". "A un moment, on réalise que son travail ne fait pas sens, qu'il ne nous plait pas", souligne-t-il. Même s'il a gardé de cette époque un précieux carnet d'adresses et la maîtrise des montages financiers.
Installé il y a quatre ans un peu par hasard à Lyon après un tour du monde, ce Solognot d'origine commence tout juste à vivre de son nouveau métier, aidé par son épouse qui recense via internet les projets les plus innovants de la planète.
Et il bouillonne d'idées, avec une vingtaine de projets "dans les tuyaux": quartiers flottants, jardins suspendus au-dessus de voies ferrées, autoroutes à vélos, incubateurs gastronomiques... "On regarde tout, des entrepôts de Lisbonne aux palais vénitiens du Monténégro !"
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