Ils ont ainsi décidé de ressusciter un mouvement éphémère de la fin des années 1990: les "Survivants". Leur théorie ? Les enfants nés après la loi Veil légalisant l'avortement sont tous des "survivants" qui avaient "une chance sur cinq" de ne pas naître. Un chiffre obtenu en rapportant les près de 220.000 avortements annuels en France aux 800.000 naissances.
Pour l'instant, les Survivants, c'est un site internet bien construit et des comptes très actifs sur les réseaux sociaux. C'est "environ 800 inscrits" sur le site et une "tribu" ralliée par un hymne -un slam diffusé à l'occasion de la fête de la musique- et un "doigt d'honneur", la main tendue avec l'annulaire abaissé, symbole de ce cinquième de la population qui "manque".
Leur porte-parole, Emile Duport, grand gaillard à la barbe brune, affirme avoir senti "un appel pour prendre la parole sur ce sujet". Il a donc décidé, il y a quelques mois, de mettre à profit son expérience en communication digitale pour relancer le mouvement avec une cible bien précise: les 18-25 ans.
Ce mouvement "s'inscrit totalement dans le renouveau des mobilisations à droite de l'échiquier politique, notamment dans les milieux catholiques conservateurs sur les questions familiales" dans la foulée de la Manif pour tous en 2013, commente Bibia Pavard, Maîtresse de conférence à Paris 2, spécialiste de l'histoire des femmes.
Si Emile Duport a réalisé une des campagnes de ce mouvement créé en opposition au mariage homosexuel, il rejette toute affiliation avec cette "grosse manifestation nationale, un peu traditionnelle", "beaucoup moins marrante que les Survivants".
Après un premier "happening" le 4 juin à Paris, une campagne d'affichage a été lancée, avec des images d'enfants ou de femmes enceintes barrées de messages du type "le monde n'aurait rien gagné à se passer de moi".
Une rhétorique "sur le droit à la vie de ceux qui ne sont pas nés" typique des mouvements anti-IVG dont ils veulent tant se démarquer, observe Mme Pavard.
- Une position marginalisée -
Le mouvement se dit apolitique et areligieux. Maddy, étudiante en philosophie de 21 ans, ne saurait dire si elle est de droite ou de gauche. Et si elle vient d'une famille catholique, elle admet avoir "une spiritualité", mais pas forcément celle de ses parents.
Paul, 21 ans lui aussi, est catholique, et a déjà participé à des manifestations type Manif pour tous ou Marche pour la vie. "Mais ma foi ne vient pas dicter ce que je dois penser", assure-t-il. D'autant qu'aujourd'hui "le religieux pose beaucoup de problèmes et il y a déjà trop de tensions autour de ces sujets".
Malgré des éléments de langage des Survivants et des visuels partagés sur les réseaux sociaux, à ce jour le #1sur5 est plus repris pour les critiquer que pour les soutenir, signe que l'argumentaire ne prend pas.
"C'est quand même une position qui est particulièrement marginalisée aujourd'hui en France", souligne Mme Pavard.
"SOS tout petits et la Trêve de Dieu ont eu aussi une audience très forte dans les années 80-90 parce qu'ils avaient des modes d'action spectaculaires", sans pour autant peser sur la société, rappelle-t-elle.
Le contexte international de remise en cause de l'avortement n'est "pas très rassurant", s'inquiète pour sa part Jacqueline Heinen, professeure émérite à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, qui travaille notamment sur l'avortement et le rôle des religions sur le statut des femmes.
Elle avance deux explications: "le fait que les mouvements féministes n'existent plus de manière militante et visible" comme dans les années 1970, et "le poids des églises", en pleine résurgence, comme en Pologne.
"La France est quand même un pays préservé" par rapport à ses voisins, ajoute-t-elle, tout en redoutant les effets de la montée de l'extrême droite. "On est dans une période, sur ces questions, éminemment instable et qui tient beaucoup aux équilibres politiques", explique-t-elle.
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