Sous le ballet bien rôdé des catapultages et des appontages, c'est une ville qui vibre et transpire 24 heures sur 24 pour rendre possible cette démonstration de minutie, de puissance et de technologie.
Au total, environ 5.000 personnes -- dont un millier de femmes -- avec une moyenne d'âge qui dépasse à peine la vingtaine d'années, sont chargées, chacune à leur manière, de s'assurer que les quelque 200 pilotes à bord peuvent mener à bien leurs missions.
Il y a bien sûr une foule de spécialistes occupés à la maintenance des avions, la préparation des bombes, la gestion des deux réacteurs nucléaires qui font avancer le bateau...
Mais les interminables coursives imprégnées d'une forte odeur mêlant effluves de carburant et de transpiration fourmillent aussi de marins chargés de tâches moins directement liées à l'action militaire.
Parfois à peine sortis de l'adolescence, ils font tourner les immenses cuisines, l'usine de dessalinisation de l'eau, le salon de coiffure, le cabinet de dentiste, le journal quotidien, la prison, la chapelle qui accueille la messe comme la fête de l'Aïd...
Pour au moins six à sept mois, ils vivent et travaillent toute la semaine, avec de très rares plages de temps libre et sans quasiment jamais voir la lumière du jour, partageant d'immenses chambrées où seuls de petits rideaux bleus autour de chaque lit superposé offrent un semblant d'intimité.
Andrew Garcia, 26 ans, entré dans la marine pour voyager et s'assurer d'une formation professionnelle, est le radiologue du bord. Chaque jour, il sonde les mains piégées dans les lourdes portes et les victimes de chutes dans les innombrables et si étroits escaliers du bateau.
A-t-il l'impression de lutter lui aussi contre l'EI ? "Je suis juste là pour fournir l'aide nécessaire à bord", explique-t-il.
- En attendant la salade -
Jamalli Hill, sous-officier de 36 ans, transpire à grosses gouttes dans les cabines de traitement des déchets. Il s'est engagé pour 20 ans en 2004, afin de gagner l'expérience et les fonds nécessaires pour monter son entreprise de climatisation.
En attendant, avec ses 16 subordonnés qui se relaient par postes de 8 heures, il presse, broie ou incinère dans ces locaux où la température dépasse largement les 30 degrés et montera encore quand le porte-avions aura atteint le Golfe persique.
Le géant des mers recrache 1,2 tonne de plastique par jour, fondu en d'énormes galettes qui seront traitées à terre, ainsi que 1,8 tonne de métal finement broyé et une montagne de restes alimentaires et de papier, pulvérisés avant d'être rejetés à la mer.
"C'est un travail sale mais nécessaire pour maintenir le bateau dans de bonnes conditions sanitaires", explique-t-il. Mais "Inherent Resolve" (Détermination absolue), l'opération en cours contre l'EI, lui passe nettement au-dessus.
"Je ne sais pas trop ce que les pilotes font quand ils volent, mais si je m'acquitte de mes tâches et eux des leurs, tout ira bien", explique-t-il.
Même état d'esprit derrière les beaux yeux noisette de Christine Smith, 25 ans, engagée pour 5 ans en 2013 parce qu'elle aimait nager, mais postée sept jours sur sept derrière le comptoir du Starbucks.
Son petit royaume est situé dans un coin du principal réfectoire, à deux étages sous le niveau de la mer mais pas encore assez bas pour échapper au rugissement des moteurs à chaque arrivée ou départ d'avion.
"On ne nous dit pas ce qu'on est en train de faire, mais je suis sûre qu'on est en train d'accomplir quelque chose", explique-t-elle.
Quelques minutes plus tard pourtant, la voix du capitaine Paul Spedero, commandant de l'Eisenhower, résonne dans tout le bateau.
"Nous avons mené une centaine de sorties la semaine dernière, dont plusieurs frappes très efficaces en Irak et en Syrie", annonce-t-il, avant de faire l'éloge du "marin du jour" puis d'aborder le sujet qui intéresse vraiment ses milliers de subordonnés fatigués de manger du surgelé: un ravitaillement en nourriture est prévu, salades et fruits frais seront au menu "dans les prochains jours".
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