Droit comme un "i", Luis se trouve bien à l'heure dite au pied de son immeuble de Bilbao (nord). Et aussitôt, ce veuf chaleureux invite à entrer dans l'appartement où il vit seul avec ses archives et son ordinateur.
"Quand la guerre a commencé, le 18 juillet 1936, j'avais 19 ans et je travaillais dans un magasin à la comptabilité", commence-t-il. "Début août, j'ai rejoint à Bilbao un bataillon de la Gauche républicaine".
"Fils de républicain, je me suis enrôlé parce qu'ils allaient m'appeler de toute façon et que je voulais défendre la liberté et le gouvernement légal du Front populaire", confronté à une insurrection militaire et nationaliste dirigée par le général Francisco Franco, vite soutenu par Hitler et Mussolini.
"Nous nous exercions avec des balais... Nous n'avions ni fusils ni matériel de guerre".
Jamais Luis ne se présente en héros valeureux, ayant traversé le conflit meurtrier "sans tirer un coup de feu".
"J'ai eu la chance d'être affecté aux transmissions. J'étais un téléphone vivant: j'allais du commandement aux tranchées porter des messages qui disaient +nous ne pouvons plus tenir+ ou +avons eu de grosses pertes+"...
- Ramasser les morts de Guernica -
Le 26 avril 1937, son bataillon se repose dans un quartier de la ville basque de Guernica quand des avions allemands y larguent des dizaines de tonnes de bombes.
"Nous avons dû sortir ramasser morts et blessés. Tout brûlait. Je n'avais jamais vu autant de sang", dit-il, alors que la propagande de Franco allait imputer la destruction de la ville au "vandalisme rouge".
En février 1939, la guerre étant perdue pour les républicains, Luis s'enfuit en France. Il y connaît la dureté des camps où les républicains espagnols sont parqués comme des "indésirables".
Le journaliste basque Ander Izaguirre, qui prépare une biographie de l'ancien combattant, assure qu'"il est passé en sept ans par les lieux les plus importants de la guerre et de l'après-guerre, dont le camp français de Gurs où allaient être ensuite enfermés des Juifs avant leur déportation".
Quand la France entre dans la Seconde Guerre mondiale, à l'automne 1939, Luis croit bon de rentrer en Espagne pour retrouver ses parents et sa fiancée. Mais il est arrêté à la frontière puis envoyé, en juin 1940, dans un des "121 bataillons de travaux forcés" - selon l'historien Antony Beevor - créés par Franco pour exploiter et mater les perdants.
- 'Esclave du franquisme' -
"Ce ne sont pas des prisonniers de guerre, ce sont des esclaves", tranchera un allié de Franco, le comte Galeazzo Ciano, chef de la diplomatie italienne, en découvrant ces détenus républicains après la fin des hostilités.
"Oui nous étions des esclaves du franquisme", revendique Luis, le rescapé, qui croit être "vivant grâce aux machines à écrire".
Sachant taper à la machine, il devient "employé aux écritures de la première compagnie du bataillon disciplinaire de soldats travailleurs n°38", obligés de construire une route entre deux vallées des Pyrénées, "dans des conditions inhumaines".
"J'étais logé avec les officiers, les autres vivaient dans des baraquements pour bétail", raconte-t-il. "Certains pesaient 38-40 kilos. Ils ramassaient des épluchures jetées aux cochons pour les manger, avalaient jusqu'à des lézards crus".
Et Luis a "encore honte" d'avoir couvert les malversations d'un lieutenant franquiste bambocheur qui exigeait qu'il lui verse une part de l'argent destiné à l'alimentation des prisonniers.
Puis l'ex-soldat se voit encore imposer "un long service militaire" en Galice.
Et enfin de retour à Bilbao en 1943, il s'aperçoit que les emplois sont "réservés à ceux qui avaient lutté avec Franco" et doit soudoyer un fonctionnaire pour en obtenir un.
Avant son centième anniversaire le 13 octobre, Luis se dit aujourd'hui "formidablement heureux". "Heureux comme un ressuscité" de pouvoir témoigner.
Une loi d'amnistie votée en 1977 après la mort de Franco est censée effacer tous les crimes. Mais, au nom du principe de justice universelle, une juge d'instruction argentine a ouvert une enquête et Luis lui a détaillé "tout ce que les prisonniers républicains décédés ne pourront jamais raconter".
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