Quinquagénaire à l'allure sportive, impeccablement cintré dans une veste de cuisine brodée à ses initiales, le chef évoque pour l'AFP 100 ans de saga familiale et sa volonté de rendre la gastronomie accessible, d'abord dans le restaurant qu'il ouvre en 2013 sur le toit du MuCem, et, depuis quelques semaines, Chez Albertine, son troisième établissement marseillais, dans le nouveau quartier d'affaires de la Joliette.
"Ce n'est pas un bistro, c'est un petit Petit Nice", lance Gérald Passédat installé à une table de cet établissement qu'il a imaginé "comme une bastide provençale". "C'est un hommage à ma mère, Albertine, elle aime bien manger, elle aime ce qui est simple, elle tient ça de ses racines italiennes", explique-t-il dans un entretien réalisé quelques jours avant le décès de Mme Passédat.
"Ici, c'est une cuisine que je m'interdis au Petit Nice", souligne le chef, expliquant qu'il travaille "les viandes, +l'arrière-pays+, les légumes de la Provence", en plus des poissons de Méditerranée qui font la renommée du trois étoiles.
La saga Passédat au Petit Nice débute il y a près d'un siècle. Le grand-père, Germain, achève alors son tour de France d'artisan pâtissier. Doté d'un solide sens des affaires, cet originaire du Quercy achète à Marseille d'abord des pâtisseries, puis des guinguettes et des cabarets.
Mais, un jour de 1917, une comtesse, propriétaire de la Villa Corinthe, vient téléphoner dans le bar de Germain. Il comprend que l'aristocrate discute avec son notaire pour vendre sa somptueuse demeure, en bord de mer, face aux Iles du Frioul.
"Il a vendu tous ses biens pour acheter la villa" qu'il transforme en restaurant et nomme le Petit Nice, raconte Gérald. Avec sa seconde épouse, Lucie, chanteuse lyrique, Germain fait prospérer l'affaire dans les années 20. Il y ajoute des chambres: "il avait compris à l'époque que pour un mariage, il fallait aussi de l’hôtellerie."
Lucie et Germain transmettent à leur fils Jean-Paul leur passion pour le belcanto et la haute cuisine. Jean-Paul mènera de front le lycée hôtelier de Nice et le conservatoire et ne délaissera sa carrière de chanteur lyrique qu'à la mort de son père dans les années 60. C'est lui qui obtiendra les deux premières étoiles de l'établissement.
- 'S'émerveiller de n'importe quoi' -
Gérald Passédat garde un souvenir précis du jour où il voulut lui-même devenir "un grand chef": au début des années 70, alors qu'il accompagne ses parents, Jean-Paul et Albertine, pour une virée dans les Dombes, il a la révélation en découvrant le trois étoiles d'Alain Chapel.
Il relate sa longue initiation -Le Coq Hardi à Bougival, à Paris le Bristol et le Crillon, et les Frères Troisgros à Roanne- avant le retour au bercail. "Mon père ne voulait pas que je devienne chef d'un coup": le jeune Gérald entre comme commis au Petit Nice en 83 et ne devient chef qu'une dizaine d'années plus tard.
"La cuisine, c'est un combat gustatif, un combat physique, un combat culturel, il faut pouvoir s'investir, s'émerveiller de n'importe quoi". Passédat pense qu'il n'est véritablement devenu chef que lorsqu'il a pu s'affranchir "de la tradition gastronomique".
Et, à "l'évidence", un restaurant avec vue sur mer devait se concentrer sur le poisson. La poignée de pêcheurs artisanaux des Auffes, des Goudes ou du Vieux-Port qui livrent quotidiennement le Petit Nice témoignent de l'importance que le chef leur accorde : "on est traités comme des princes quand on arrive en cuisine avec nos cirés et nos bottes", sourit Alain Devaux. "Il arrive à transformer les produits basiques pour en faire des choses fantastiques", s'enthousiasme ce pêcheur des Goudes.
"C'est un vrai choix d'avoir une pêche locale", explique Denis Maillet, second en cuisine au côté de Passédat, "au Petit Nice depuis 28 ans". Pour lui, la marque de fabrique de la maison "c'est une cuisine légère, avec des goûts pertinents, une cuisine puissante". C'est aussi quelque part une affaire "de famille": le fils de Denis vient de prendre la cuisine d'Albertine.
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