"C'est un grand spectacle, et voir que c'est la troupe de la Comédie-Française qui le porte, je trouve ça magnifique pour l'image de cette maison", a indiqué mercredi lors d'une conférence de presse Eric Ruf, le patron de la troupe.
"Une fois tous les 23 ans c'est un peu long", sourit-il. "Si on peut revenir un jour avec un spectacle classique très maîtrisé, pourquoi pas?"
C'est un spectacle atypique pour la Comédie-Française que met en scène mercredi soir le flamand Ivo van Hove, avec beaucoup de vidéo, de musique "live", et des gros plans qui mettent à nu les acteurs.
"Ca nous gratte, ça nous déplace, ça nous interroge et il n'y a rien de mieux", souligne Eric Ruf.
Ivo van Hove, qui a déjà signé à 57 ans une centaine de spectacles dont plusieurs adaptations de films, comme "Rocco et ses frères" et "Ludwig" de Visconti, est considéré comme un des géants européens de la scène théâtrale.
"Les Damnés", sorti sur les écrans en 1969, raconte la descente aux enfers en 1933 d'une grande famille allemande, propriétaire d’aciéries convoitées par le Reich. De compromis en assassinats, la famille bascule dans la haine et le nazisme.
"Le spectacle raconte très clairement comment une société qui était considérée comme arrivée à un point de haute culture, de grand progrès, qui avait été une grande démocratie, comment un pays civilisé consent à la barbarie", raconte Denis Podalydès, qui joue le rôle de Konstantin, fils cadet de la famille et membre des SA.
La pièce s'ouvre sur des images d'archives de l'incendie du Reichstag. Mais bien que située très clairement dans son époque, elle a "des résonances aujourd'hui", souligne Ivo Van Hove.
"On voit partout, en Europe mais aussi dans le monde, en Amérique, une montée des populismes et de l'extrême droite. Il y a quelque chose qui donne à réfléchir, quand un chef d'Etat, un politicien nous dit de suivre nos sentiments profonds, nos pulsions".
"Les Damnés" sont aussi une tragédie familiale: Martin, le jeune héritier des aciéries, bascule dans le nazisme par haine de sa mère, dont il n'a pas reçu l'amour qu'il espérait. Le jeune homme à l'identité sexuelle ambigüe est formidablement incarné par un des jeunes comédiens du Français, Christophe Montenez, dans une distribution de haut vol (Guillaume Gallienne, Eric Génovèse, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery, etc.)
- Rituel de mort -
Le choix d'Ivo van Hove pour diriger la troupe répond "au désir profond de se confronter à d'autres metteurs en scène", souligne Denis Podalydès. Avec Ivo van Hove, "on est dans un monde qui fait se croiser théâtre et cinéma de façon extrêmement savante et créatrice et c'est passionnant".
Sur scène, un caméraman évolue comme un chat, filmant, souvent en gros plan, les acteurs dont l'image est projetée en fond de plateau.
Le procédé filmique ne prend jamais le pas sur le théâtre, mais dévoile les coulisses du drame, comme dans le magistral "Kings of War" d'après Shakespeare montée par le Flamand à Chaillot en janvier.
"Je ne suis pas intéressé par la technique", souligne Ivo van Hove, "pour moi le cinéma est toujours là pour soutenir le jeu des acteurs".
"De ce dispositif naît du tragique", observe Denis Podalydès. "C'est un rituel de mort. A chaque fois qu'il y a un mort, le corps est emmené vers des cercueils, qui sont visibles à l'oeil de tous sur le coté".
Ce rituel s'est imposé "immédiatement" à Ivo van Hove. "Il donne quelque chose de mythique, de presque religieux au spectacle", dit-il.
"Il y a du Macbeth là dedans, et de la tragédie grecque".
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