Sous le choc, Saida raconte à l'AFP le drame qui la frappe et bouleverse la Tunisie.
Visage pâle, traits tirés, cette femme d'une cinquantaine d'années, elle-même de retour d'Istanbul, reçoit les proches venus présenter leurs condoléances dans son salon d'Ennasr, un quartier aisé de Tunis. Pendant ce temps, à la caserne militaire de L'Aouina, une brève cérémonie est organisée à l'arrivée de la dépouille de son mari.
C'est en allant la chercher à l'aéroport d'Istanbul, mardi soir, que Fathi Bayoudh, chef du service pédiatrique de l'hôpital militaire de Tunis, a perdu la vie lors d'un triple attentat-suicide qui a fait 43 morts, pour lequel le groupe extrémiste Etat islamique (EI) est soupçonné.
Quelques minutes avant le drame, le couple pensait, au contraire, la fin d'un cauchemar proche.
"Mon mari (...) a fait l'impossible pour sauver son fils", affirme à l'AFP Saida. A l'automne, elle avait appris avec stupéfaction que son enfant unique, Anouar, 26 ans, avait rejoint l'EI en Irak puis en Syrie, comme l'ont fait des milliers de Tunisiens.
Au grand soulagement du couple, ce fils avait fini par exprimer des regrets, et Fathi Bayoudh allait et venait depuis deux mois entre Tunis et la Turquie avec la ferme intention de le sortir de ce bourbier.
- 'Monstres' -
"Mon fils a quitté Daech (acronyme arabe de l'EI), il a voulu échapper à ce groupe et revenir en Tunisie. Il a découvert que c'était des monstres", raconte Saida.
D'après elle, le jeune homme n'était pas très religieux. "Il ne faisait même pas la prière de façon régulière. Mais c'était quelqu'un de bien, de poli et de respectueux", assure-t-elle.
Mais selon sa tante, qui parle à l'AFP sous couvert de l'anonymat, des jeunes du quartier ont subi "un lavage de cerveau" dans une des mosquées d'Ennasr.
Après avoir suivi un temps des études de médecine, sans travail, Anouar "se lance dans un nouveau projet et s'inscrit dans une faculté privée", raconte Saida.
Tout bascule fin octobre: le jeune homme dit se rendre en Suisse, pour les besoins d'un stage. Mais il s'avère qu'il rejoint l'EI en Irak.
"Sa fiancée, Farah, a appelé mon mari au début du mois suivant pour lui dire que ça n'était pas la peine de les chercher, qu'ils allaient bien, raconte la mère. Quinze jours plus tard, Anouar a lui-même appelé pour nous dire qu'il était en Irak et qu'il avait été chargé par l'EI de s'occuper des blessés."
Mais la tonalité des échanges évolue rapidement, selon elle: Il a fini "par demander à son père de le sauver. (...) Il avait très peur de ces gens-là". "Dans ses messages à son père, Anouar les qualifiait de monstres et nous disait que Daech, ce n'était que de l'arnaque", assure encore Saida.
- 'Fou de joie' -
Depuis octobre, cette femme au visage aminci affirme avoir subi deux malaises cardiaques. Son mari avait lui perdu 20 kilos, mais n'avait jamais cessé d'exhorter son fils à rentrer, insiste-t-elle.
La mère de famille tend un téléphone, sur lequel s'affiche un récent sms de son mari. "Je me sacrifierai pour toi mon fils", est-il écrit.
Elle précise encore son récit.
"Après un court passage en Syrie, Anouar s'est rendu à l'Armée libre syrienne et leur a dit vouloir retourner en Tunisie. Il est resté environ deux mois incarcéré. Durant cette période, son père, en congé sans solde, était en Turquie pour tenter de trouver les moyens de le rapatrier", dit-elle.
Lundi, veille de l'attentat, "Fathi a su que son fils était sur le sol turc. Il était fou de joie de pouvoir enfin le voir et m'a demandé de venir rapidement en Turquie", ajoute Saida, avant de conclure d'un soupir: "et mardi, il était à l'aéroport pour m'accueillir".
Après le drame, les autorités tunisiennes ont confirmé que leur consulat à Istanbul était en contact "depuis décembre" avec la famille Bayoudh. Jeudi, elles ont annoncé que la Turquie avait accepté le prochain rapatriement d'Anouar.
Alors que les funérailles de son père ont lieu vendredi, le jeune homme, selon sa mère, ignore encore qu'il est décédé.
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