La nuit, le centre de cette mégapole de plus de 20 millions d'habitants devient sale et déprimant avec son labyrinthe de rues obscures transformées en dortoirs pour les sans-abris.
Seules les conversations de la trentaine de volontaires de l'ONG Anges de la nuit retentissent. Ils s'approchent avec précaution des corps étendus qui se réveillent pour prendre les vivres et les couvertures qu'on leur propose.
Marcio remercie. La voix cassée, il parle de l'amertume de trois ans de vie dans la rue, des rêves brisés depuis son arrivée de Bahia, à 18 ans, en quête d'un avenir meilleur.
"Je travaillais comme plombier et je me suis séparé de ma femme. Je ne pouvais plus rester chez moi", confie cet homme qui semble épuisé à 41 ans.
"La vie dans la rue est très difficile et dangereuse. On m'a agressé plusieurs fois, on m'a volé mes choses et j'ai eu très froid. Je suis devenu alcoolique ici. Pour vivre dans la rue, il faut boire", ajoute-t-il tête basse.
A Sao Paulo, on a recensé officiellement 15.905 personnes dans les rues début juin quand une vague de froid a fait descendre les températures à 3,5 degrés Celsius, les plus basses des 22 dernières années dans ce pays tropical. Six SDF ont péri en quinze jours.
Alors que les autorités niaient tout rapport entre les décès des SDF et les basses températures, la presse et les sans-abris ont accusé la garde municipale d'avoir confisqué les matelas et cartons qui les protégeaient du froid.
- Des conditions 'cruelles' -
Avivée par la proximité des élections municipales en octobre, la polémique s'est enflammée quand le maire de gauche de Sao Paulo, Fernando Haddad, a tenté de justifier sa stratégie pour éviter la "re-favelisation" des espaces publics.
Il a dû rapidement faire marche arrière en s'excusant et en interdisant aux agents de retirer les couvertures et effets personnels des SDF qui, en majorité, refusent d'aller dans des abris municipaux aux horaires stricts.
Tandis que la population de Sao Paulo croît au rythme annuel de 0,7% depuis 2000, la ville compte chaque année 4,7% de sans-abris supplémentaires sous l'effet de plusieurs facteurs: le chômage, dû à la récession économique frappant le pays, la consommation de stupéfiants et la rupture des liens familiaux qui touche 82% des hommes désormais sans domicile.
Parmi les SDF, 2,5% sont des enfants, soit 403.
"Les conditions de survie à Sao Paulo sont cruelles. La ville a un manque d'équité inacceptable, l'inégalité des revenus empêche une grande partie des familles d'avoir un logement", explique Silvia Schor, professeur d'économie à l'université de Sao Paulo, soulignant que près de deux millions d'habitants de la mégapole vivent dans des favelas et certains finissent dans la rue.
Pour Kaka Ferreira, présidente de l'ONG Anges de la nuit qui aide les oubliés de Sao Paulo depuis 27 ans, on ressent aujourd'hui sur les trottoirs de la ville le coup de frein de l'économie du géant sud-américain qui traverse sa pire récession depuis près d'un siècle.
"Avec la crise, les SDF ont augmenté de 10%. Il y a des gens au chômage, malades, sans famille... On trouve de tout", assure cette fonctionnaire du ministère de l'Agriculture. Elle dirige un réseau de 80 volontaires qui consacrent leurs samedis à cuisiner et préparer les dons qu'ils distribueront à l'aube.
Marina Mayara da Silva est l'une de celles qui va à sa rencontre en cette nuit d'hiver. La tête protégée par une capuche, son fils de deux ans jouant entre ses jambes, elle est sortie de l'immeuble qu'elle squatte pour prendre l'un des repas offerts.
"Cela fait deux mois que je vis ici parce que je ne peux pas payer un loyer. Avant j'habitais avec ma mère mais c'était devenu impossible", confie cette jeune femme de 19 ans enceinte de cinq mois, qui vend des bonbons dans la journée.
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