"Pour un judaïsme engagé contre toutes les discriminations": c'est sous ce titre que l'actuel grand rabbin, Haïm Korsia, va donner mercredi une conférence au Centre communautaire de Paris, à l'appel du Beit Haverim, le groupe juif gay et lesbien.
"C'est la première fois qu'un grand rabbin de France en exercice accepte notre invitation, qui sera aussi l'occasion de parler de plusieurs sujets qui fâchent", explique à l'AFP Alain Beit, président de l'association de juifs homosexuels. Le grand rabbinat a tenu à "élargir le propos à d'autres discriminations, comme le sexisme", ainsi qu'aux relations entre le judaïsme incarné par le Consistoire israélite, traditionaliste et orthodoxe, et les courants progressistes (libéral ou massorti), confirme-t-on dans l'entourage du chef religieux de la première communauté juive d'Europe.
Aux sources du débat: une chronique sur l'antenne communautaire Radio J de Joseph Sitruk, 71 ans, qui a régné sur le judaïsme français pendant plus de vingt ans (1987-2008). D'une voix affaiblie par la maladie, cet orthodoxe strict a fustigé la Gay Pride de Tel Aviv organisée le 3 juin.
"J'espère que les auditeurs (...) réagiront de façon radicale à une telle abomination": sa phrase a résonné de manière violente après l'assassinat d'une adolescente israélienne lors de la Gay Pride de Jérusalem en 2015, pour lequel un juif ultra-orthodoxe vient d'être condamné à la prison à vie.
"A quelle +radicalité+ pense-t-il?", s'est insurgé le Beit Haverim. "On est ici, clairement, dans une dérive intégriste."
- Des "parias" dans les synagogues? -
Responsable des projets de l'Espace culturel et universitaire juif d'Europe (Ecuje, centre communautaire de Paris), Jean-François Strouf y voit une déclaration "en contravention avec la loi: en France, l'homophobie n'est pas une opinion, c'est un délit". Tout en volant au secours de Joseph Sitruk, dont "les propos ont largement dépassé sa pensée", son ex-conseiller Haïm Korsia, figure d'ouverture, a rappelé que, à ses yeux, chacun devait "accueillir l'autre dans le respect de son intimité". Mais Joseph Sitruk a aussi reçu de nombreux soutiens sur les réseaux sociaux.
Le rapport conflictuel à l'homosexualité traverse toutes les traditions monothéistes. La fusillade d'Orlando a jeté une lumière crue sur la violence homophobe de l'islam radical. Si le pape François répète un message de tolérance à l'égard des personnes homosexuelles, le catéchisme de son Église indique toujours que les "actes d'homosexualité" sont présentés comme des "dépravations graves" dans la "Sainte Écriture".
La Torah, elle, parle d'"abomination" à propos de l'homosexualité. "Ma lecture, qui est celle de la très grande majorité des juifs pratiquants, est que ce que dit la Torah n'est jamais au service de la stigmatisation. Si quelqu'un ne veut pas respecter le shabbat, par exemple, personne ne peut le stigmatiser. Cela doit s'appliquer à tous les sujets", fait valoir Jean-François Strouf.
Mais, en France notamment, où la mouvance libérale est moins implantée qu'ailleurs, la référence à la "halakha", la loi juive, est régulièrement invoquée dans les débats de société, notamment concernant les femmes. Il y a deux ans, des rabbins du Consistoire de Paris ont ainsi été accusés d'avoir fermé les yeux sur un chantage financier au détriment d'une épouse, dans le cadre d'une remise de "guett", ce document remis par le mari sans lequel une femme ne peut plus contracter un nouveau mariage juif.
Dernièrement, c'est la candidature d'une femme à la présidence du Consistoire central qui a été contestée par des dayanim, les juges rabbiniques.
Sur l'homosexualité, "sujet pas vraiment abordé par le Consistoire" déplore Alain Beit, "les tabous demeurent. Est-ce que les juifs homosexuels sont des parias? Ou bien sont-ils les bienvenus dans les synagogues, traités sur un pied d'égalité au niveau des rites, avec une possibilité de +monter à la Torah+ par exemple?"
D'où l'idée d'un premier débat, dont le mouvement homosexuel espère qu'il ne sera "pas un rendez-vous unique".
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