Avec 14 librairies pour 1,5 million d'habitants, la Seine-Saint-Denis est le département le moins bien pourvu de France et plusieurs tentatives récentes d'étoffer le réseau se sont soldées par des échecs. Ces derniers jours, Aline Charron à Bobigny et Corisande Jover au Blanc-Mesnil ont annoncé coup sur coup qu'elles jetaient l'éponge.
Il y a quatre ans, l'ouverture d'une librairie à Bobigny, seule ville-préfecture de France à ne pas en avoir, avait réjoui la poignée d'habitants qui devaient aller à Paris pour se fournir en livres.
Seulement, une fois acquitté le loyer du 23, boulevard-Lénine, les charges et les mensualités d'emprunt, "j'avais du mal à me payer un salaire", raconte Aline, 29 ans.
"A la librairie" a subi la loi du marché: vu la faiblesse des marges, il faut vendre beaucoup de livres pour s'en sortir. Mais elle a aussi pâti d'une forme de "boycott": après sa victoire aux municipales de 2014, la municipalité UDI a choisi de ne pas reconduire le marché passé avec Aline, élue PCF d'opposition.
Libraire au Blanc-Mesnil depuis cinq ans, Corisande Jover a vécu la même chose: des ventes insuffisantes "dans une ville populaire à faible pouvoir d'achat" et la perte d'une commande publique vitale. La nouvelle municipalité, UDI elle aussi, "passe désormais par un grossiste parisien pour ses achats de livres pour les bibliothèques et les crèches", regrette cette libraire de 32 ans.
Pour Aline comme Corisande, le soutien municipal n'est pas la seule condition de la réussite, loin s'en faut. "Si le centre-ville est dynamique, qu'il y a des commerces de qualité, du pouvoir d'achat, une librairie peut fonctionner", juge Corisande.
- 'La librairie, un point de lumière'-
De manière surprenante, depuis que la nouvelle de la fermeture s'est répandue, Aline a reçu de nombreux messages de soutien, y compris de la part d'habitants qui n'avaient jamais poussé la porte d'A la librairie.
"Ils se demandent ce que le quartier va devenir" sans ce lieu qui était un peu "comme un point de lumière". Car pour les gens qui habitent ces "territoires fragiles", "la librairie est finalement plus importante que le livre".
Libraire à Aulnay-sous-Bois depuis onze ans, Jacques-Etienne Ully n'est pas étonné que Bobigny, avec sa "dalle" de béton désertée le samedi, le Blanc-Mesnil ou La Courneuve n'arrivent pas à garder leurs librairies.
"Il y a des villes où il n'y a plus que des kebabs, des bazars à 10 francs et des boutiques de téléphonie. Fatalement, les gens qui ont un petit peu de blé s'en vont", regrette le président de l'association Libraires93. A l'inverse, "Les Pipelettes" à Romainville, commune proche de Paris "qui se boboïse", fait recette. Et "La Malle aux histoires", à Pantin, qui a su aussi se diversifier en vendant des jeux, des accessoires et des cartes postales, "cartonne".
Cas à part, les librairies religieuses se portent bien. Ce qui rappelle à Jacques-Etienne Ully "l'époque des librairies rouges, quand les gens venaient acheter des livres par militantisme".
Mais Aline et Corisande n'ont pas dit leur dernier mot.
La première fonde beaucoup d'espoir dans la réouverture, au printemps, de la "MC93" (la Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis), qui aura sa librairie.
Quant à Corisande, elle s'apprête à ouvrir une nouvelle librairie, à Rosny-sous-Bois cette fois, grâce au soutien de Claude Capillon, maire LR de la ville et à une campagne de financement participatif. Le titre de ce nouveau chapitre, attendu pour la mi-juillet, est déjà trouvé: "Les Jours heureux".
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