Charcuterie, girolles, palmipèdes... c'est jour de marché à Eymet (Dordogne). Entre les étals Sud-Ouest "pur jus", la langue de Shakespeare résonne dans les ruelles de cette bastide du XIIIe siècle. Touristes ? Une poignée, oui, mais surtout des Anglais résidents, qui ont fait de ce coin de Périgord pourpre "leur pays". Et voient à distance, impuissants, leur mère patrie les entraîner hors d'une Europe au coeur de laquelle ils étaient venus s'ancrer.
"Il y a une réelle crainte, ce n'est pas du +on dit+. Je sens dans la communauté une peur de ce qui va se passer si le Brexit l'emporte", assure Roger Haigh, délégué en Dordogne de la Chambre de commerce franco-britannique. Avec une "frustration additionnelle": voir ce destin se décider sans eux, ceux, expatriés comme lui depuis 15 ans ou plus, qui du coup ne pourront pas voter le 23 juin.
"Incertitude à l'heure du vote du Royaume Uni sur le Brexit": dans les présentoirs devant les commerces d'Eymet, la première page de "The Bugle" (Le Clairon) mensuel gratuit en anglais tiré à 25.000 exemplaires du Limousin à la Dordogne, résume les craintes en suspens, alors que le "Leave" gagnait du terrain en mai-juin.
- On est des migrants, et alors ? -
Pour beaucoup dans ce "Dordogneshire", il est une certitude: la livre sterling prendra un rude choc en cas de Brexit. Et cela fera souffrir les retraités, gros du contingent des 6.000 à 8.000 expatriés en Périgord.
"Moi qui touche ma retraite en livres au Royaume Uni, je verrai, impuissant, mes revenus se réduire", prédit Brian Hinchcliffe, retraité de l'enseignement, expatrié depuis 2000. "Et je devrai me demander: qu'est-ce je sacrifie ? Des vacances ? La voiture ? La maison et rentrer ?"
Le souvenir de 2008 reste frais, quand la dégringolade de la livre, avec la récession britannique, força "beaucoup, beaucoup" de retraités anglais à revendre leur demeure périgourdine et repartir Outre-Manche.
"Or moi, c'est ici que je veux être", gémit M. Hinchcliffe. "J'ai choisi de vivre ici, c'était une grande décision. Il y a des choses qui me rendent dingue ici. Mais j'aime. La Grande-Bretagne, c'est ma nation, oui. Mais la France, c'est mon pays".
Et puis l'UE, c'est la santé. Qu'adviendra-t-il de la couverture médicale des retraités anglais - système médical français, mais payé par la Santé publique britannique en vertu d'un accord bilatéral - si jamais le Royaume Uni sortait ? Quid de permis de travail pour les actifs ?
Sans compter l'inévitable impact du Brexit sur l'économie locale. Comme le "petit" aéroport de Bergerac et ses 153 millions d'euros de retombées: 280.000 passagers par an, dont 90% vers onze destinations britanniques.
- La nationalité française -
Déjà, Terrie Simpson sent l'impact sur son "business". Co-gérante de l'agence immobilière "Eleonor" d'Eymet, elle sent nombre d'acquéreurs potentiels britanniques "qui attendent après le référendum". Quatre agences, dont une à Eymet, 12 salariés: si le Brexit l'emporte, son agence ne tiendra pas en l'état.
Et elle enrage sur "l'hypocrisie" du débat sur le Brexit au Royaume Uni. "Cela tourne beaucoup autour de l'immigration. Mais un immigrant ça veut réussir, ça aide à construire un pays. On est quoi, nous ici, sinon des immigrants ?"
Bien avant le meurtre de la député Jo Cox, les expatriés entendaient avec peine l'écho d'un débat "agressif, clivant" sur le Brexit. "Beaucoup de peurs brandies, peu de faits. Dans chaque camp, on essaye d'effrayer l'autre", déplore Tim Richardson, expatrié depuis 25 ans, et depuis 2014 élu municipal à Eymet.
Difficile de trouver chez les Anglais du Dordogneshire des partisans d'une sortie de l'UE. Mais pas d'europhiles transis pour autant. "Il n'y pas de volonté de +sortir+ de l'UE, mais il y a la forte volonté d'une autre Europe, +managée+ différemment", résume Haigh.
Beaucoup y avaient déjà pensé, mais n'ont pas toujours "été au bout des démarches". Mais c'est sûr, si un Brexit leur "rend la vie trop compliquée", ils prendront la nationalité française sans sourciller, ont-ils assuré à l'AFP, tout en regrettant que leur propre patrie les y ait forcés.
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