Ces prélèvements avaient été effectués à l'automne 2014 lors d'une exhumation des crânes des religieux enterrés à Tibéhirine, mais les juges et les experts français qui y avaient assisté n'avaient pu les ramener de leur voyage. Des proches des moines avaient dénoncé une "confiscation des preuves" par Alger, alors que la version officielle, celle d'un enlèvement puis d'un assassinat par des islamistes du GIA en pleine guerre civile algérienne, suscite encore des doutes.
Désormais, les experts pourront travailler sur ces échantillons ramenés cette semaine après une visite de la juge d'instruction Nathalie Poux, qui dirige l'enquête depuis le départ du médiatique Marc Trévidic. Ce dernier n'avait pas hésité à envoyer une pique aux Algériens, en lançant en 2014: "Il va falloir savoir si on se moque de nous".
Grâce aux prélèvements, les experts pourront peut-être tirer des conclusions sur les circonstances et la date précise de la mort des religieux.
Des résultats "attendus avec espoir" par leurs familles, dont certaines sont parties civiles dans l'enquête ouverte à Paris, au pôle antiterroriste, a réagi leur avocat Patrick Baudouin. "C'est une avancée importante, que nous attendons depuis un an et demi, et qui lève l'un des obstacles à la recherche de la vérité et de la justice", a-t-il dit à l'AFP.
- Services secrets -
La thèse officielle a notamment été remise en question par les témoignages d'anciens officiels de l'armée algérienne, difficiles à étayer, impliquant les services secrets militaires dans la mort des religieux. Ils mettent en lumière le rôle trouble joué à l'époque par le chef du Groupe islamique armé (GIA) Djamel Zitouni, considéré par certains comme un agent double.
Les sept moines de l'ordre cistercien de la stricte observance avaient été enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 dans leur monastère de Notre-Dame de l'Atlas, sur les hauteurs de Médéa.
Les soupçons s'étaient immédiatement focalisés sur le GIA, mais la première revendication, signée de Djamel Zitouni, n'était tombée que le 26 avril. Près d'un mois plus tard, le 23 mai, un communiqué affirme qu'ils ont été tués deux jours plus tôt, la gorge tranchée. Les autorités algériennes avaient ensuite annoncé avoir retrouvé "les cadavres", sur une route près de Médéa.
Un premier doute était intervenu lorsque le procureur général (à l'époque) de l'ordre des cisterciens trappistes, le père Armand Veilleux, venu en Algérie pour les hommages, avait demandé à reconnaître les corps. Dans les cercueils, il n'avait découvert que les têtes des moines, un secret caché aux familles.
Il a fallu attendre 2004 pour qu'une enquête judiciaire soit ouverte en France, après une plainte d'une famille.
Les juges français avaient demandé en 2012 à se rendre en Algérie pour exhumer les crânes des moines. Après des reports, la visite avait finalement eu lieu, mais faute de pouvoir ramener les prélèvements, les experts français avaient dû se contenter de leurs constatations sur place.
Prudentes, leurs conclusions datées de juin 2015 contredisent néanmoins les conditions de la mort décrites dans la revendication du GIA. Ainsi, l'"hypothèse d'un décès entre le 25 et le 27 avril 1996", soit plus de trois semaines avant la date annoncée dans la revendication, leur apparaît "vraisemblable". Des traces d'égorgement n'apparaissent que pour trois religieux mais tous présentent des signes de décapitation après la mort. De quoi accréditer la thèse d'une mise en scène.
En revanche, l'absence d'impacts de balles sur les crânes éloigne l'hypothèse de tirs depuis le ciel, rendant moins crédible la version, rapportée par un militaire français, d'une possible bavure de l'armée algérienne qui aurait tué les moines depuis un hélicoptère.
Selon une source judiciaire algérienne, l'accord entre Alger et Paris a été décidé lors de la récente visite du Premier ministre français Manuel Valls en Algérie, en avril. De son côté, la justice algérienne a pu obtenir des prélèvements d'ADN des familles des moines, utiles à l'enquête ouverte en Algérie.
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