Les policiers, eux, ne sourient pas et arrêtent sans ménagement le jeune homme tandis que les passants photographient la scène.
Une femme observe, puis hausse des épaules: "Nous n'avons aucune liberté d'expression", résume-t-elle.
Le sosie de Lénine, que des touristes paient pour se prendre en photo avec le père de la révolution russe, regarde avec lassitude le faux Poutine se faire arrêter. "C'est reparti pour un tour", soupire-t-il.
Car pour la neuvième fois, Roman Roslovtsev finit sa journée à l'arrière d'un fourgon de police. "Je veux qu'on me mette en prison", a-t-il expliqué à l'AFP avant d'enfiler le masque. "Cela permettrait d'achever cette performance artistique", confie-t-il.
Pour l'artiste, se faire arrêter pour le port d'un masque est le seul moyen de "combattre" la loi 212.2 qui prévoit jusqu'à cinq ans de prison pour les personnes ayant participé deux fois en six mois à des manifestations non autorisées.
Elle a été votée peu après la réélection en mai 2012 de Vladimir Poutine, dont la campagne électorale avait été émaillée par d'importantes manifestations anti-gouvernentales. Echaudé, le président russe a fait adopter plusieurs lois renforçant les peines de prison pour les manifestants.
"Pour beaucoup de gens, l'emprisonnement des Pussy Riot a été un tournant décisif", explique Artem Loskoutov, militant proche du groupe punk russe, condamné pour une "prière punk" contre Vladimir Poutine à la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou.
"Jusque-là, il était possible pour les artistes d'éviter la prison", souligne M. Loskoutov.
A Novossibirsk, sa ville natale située en Sibérie, l'activiste organise des défilés aux mots d'ordres absurdes. "Le porridge, c'est le diable", peut-on ainsi lire sur les pancartes brandies par les manifestants réunis pour chaque 1er mai.
Cette année, son défilé a été accusé d'être "sataniste" voire "anti-Russes" et les autorités ont organisé leur propre défilé absurde, affirme-t-il.
"Ils considèrent immédiatement comme une menace tout ce qui est indépendant", juge-t-il. "Il y a de moins en moins d'espace pour la liberté d'expression".
- Procès ou performance ? -
En conséquence, les artistes se radicalisent et mettent en scène leur propre arrestation voire leur procès, comme Piotr Pavlenski, dont l'audience pour avoir mis le feu aux portes du siège du FSB, l'ex-KGB, vient de débuter.
Incarcéré depuis début novembre, l'artiste considère son procès comme "une farce" et a fait venir pour témoigner des personnes présentées comme des prostitués, a révélé aux journalistes son avocate Olga Dinzé. Adepte des performances artistiques à caractère politique, l'artiste s'était aussi cloué la peau des testicules sur les pavés de la place Rouge en face du Kremlin en 2013 et cousu la bouche en 2012 en soutien au groupe Pussy Riot.
Mais d'autres artistes opposés au pouvoir, comme Katerina Nenacheva, jugent ce type de contestation trop extrême pour atteindre la population.
Selon elle, les performances radicales comme celles de Pussy Riot ou Pavlenski n'atteignent pas forcément leur objectif et sont de plus en plus difficiles à organiser sans risquer d'atterrir en prison.
Avec d'autres jeunes artistes, elle préfère protester de façon plus modérée: elle coud sur des vêtements des slogans anti-gouvernementaux ou dénonçant ouvertement les lois limitant la liberté d'expression, puis elle les tend ensuite aux passants.
"L'idée principale, c'est de communiquer avec les gens, 90% d'entre eux ne savent rien sur ces lois, ils ne savent pas que des personnes peuvent être arrêtées dans la rue pour rien", dit-elle. "Cela surprend les gens".
D'autres artistes ont pris d'assaut les arrêts de bus, en affichant des photos menaçantes de Vladimir Poutine à la place des habituelles publicités.
Un autre Russe a quant à lui déroulé en pleine capitale une immense photo de Staline décédé, avec pour légende: "Celui-là est mort, l'autre mourra aussi".
Et début mai, cinq jeunes ont accompagné Roman Roslovtsev jusqu'à la Place Rouge en portant le masque de Vladimir Poutine. "Les Poutine se multiplient", remarque l'artiste en souriant.
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