"La rose de Damas est à l'agonie", soupire le cultivateur Jamal Abbas, en contemplant un champ à el-Mrah, à une soixantaine de kilomètres au nord de la capitale de ce pays déchiré par la guerre depuis cinq ans.
Dans ce village de la région de Nabek, connue pour la production de cette fleur aux 30 pétales, les terres cultivées ont diminué de plus de 50% et la tradition de la cueillette se perd, des familles entières ayant fui les combats qui ont opposé régime et rebelles.
L'accès aux champs a un temps été coupé et le festival de la rose annulé, privant el-Mrah de sa principale source de revenus.
Avec le retour au calme dans cette région d'où les insurgés ont été chassés en 2014, le festival, dont l'édition 2016 avait lieu dimanche, a repris. Mais la production ne s'en est pas remise.
"On est passé de 80 tonnes en 2010 à 20 tonnes cette année en raison de la guerre, en plus de la sécheresse", affirme Hamza Bitar, un autre agriculteur de 43 ans, qui a "appris à marcher dans ces champs".
Avant la guerre en 2011, "des commerçants libanais venaient acheter les pétales de roses par dizaines de tonnes pour les exporter en Europe", affirme-t-il. Et "les parfumeurs français faisaient la distillation des pétales asséchés pour en produire l'huile essentielle".
Exportée en Europe notamment lors des croisades, cette rose millénaire est cultivée depuis dans d'autres pays dont la France, le Maroc, l'Iran ou encore la Turquie.
Grâce à son odeur à la fois riche et suave, la rose de Damas, qui pousse naturellement en mai mais peut être cultivée tout au long de l'année, est la fleur la plus utilisée pour la production de l'huile essentielle des parfums et produits cosmétiques.
Les spécialistes jurent par ses vertus thérapeutiques (anti-infectieuse, relaxante) et l'eau de rose est utilisée au Moyen-Orient comme boisson rafraîchissante en été, dans les douceurs orientales, pour parfumer les mosquées ou encore comme porte-bonheur dans les mariages.
En Occident, on la retrouve dans la littérature et la poésie, comme dans des sonnets de Shakespeare.
- Rose contre poudre à canon -
Dans la capitale syrienne et sa province, la rose ornait les jardins, les bords de route et les balcons, si bien qu'elle était un symbole pour les Damascènes. Mais la baisse de la production et le manque d'entretien la rendent désormais discrète.
Pour les producteurs et commerçants, cette agonie symbolise celle d'un peuple et d'un pays déchirés par un conflit destructeur, qui a fait plus de 270.000 morts et des millions de réfugiés.
Abou Bilal, 52 ans, avait une distillerie de roses séchées à Aïn Tarma, dans la Ghouta orientale, devenue fief de la rébellion. Il a dû la fermer dès la première année de guerre.
"A Douma, on sentait les effluves de la rose. Aujourd'hui, on me dit qu'on n'y sent plus que la poudre à canon", dit-il en référence à la principale ville de la Ghouta.
Il travaille aujourd'hui dans une parfumerie orientale dans un souk du Vieux Damas.
Selon les marchands interviewés par l'AFP dans le souk, où il ne reste plus que deux distilleries contre huit avant la guerre, trois tonnes de roses séchées font environ un kilo d'huile essentielle.
"Aujourd'hui, il y a à peine 250 grammes d'huile à vendre sur tout le marché", regrette Abou Bilal.
Bien que cultivée dans d'autres pays, "la rose venue de Damas est unique, car son odeur est plus capiteuse, sa qualité est meilleure et elle produit plus d'huile", explique-t-il. "Les compagnies (pharmaceutiques et cosmétiques) et nos clients dans le Golfe aiment acheter l'original, c'est une fierté pour eux".
Agriculteur octogénaire à el-Mrah, Amine Bitar a passé sa vie à récolter la rose. "La relation avec la rose n'est pas simplement commerciale, elle fait partie de notre famille", confie-t-il tristement, en rassemblant des fleurs dans un panier.
Pour lui, la rose de Damas "ne reviendra à la vie que lorsque la guerre sera finie".
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