Ils ne guettent pas des narcotrafiquants mais des pêcheurs de totoaba, un poisson en danger d'extinction dont la vessie natatoire se monnaye plusieurs dizaines de milliers de dollars en Chine pour ses vertus présumées en matière de médecine et d'esthétique.
Son commerce est interdit et l'an dernier, le gouvernement mexicain est passé à l'action car la pêche clandestine du totoaba a également provoqué la quasi extinction d'une autre espèce, le "vaquita marina" ("vachette de mer"): connu aussi sous les noms de "Marsouin du golfe de Californie" et de "marsouin du Pacifique", c'est le plus petit marsouin du monde et il est victime des filets dérivants utilisés par les contrebandiers de totoaba.
L'alerte a été donnée après qu'une étude eut dénombré en 2014 moins de 100 marsouins dans le secteur, contre 200 en 2012, faisant craindre une extinction de l'espèce d'ici 2018.
"Nous avons beaucoup navigué et il a été impossible d'en voir un", raconte le capitaine Federico Castro Dominguez, qui commande un navire équipé d'un puissant radar pour intercepter les bateaux des contrebandiers.
De fait, au cours d'une journée passée à bord de ce navire de la Marine, des dauphins et baleines ont pu être observées, mais le cétacé de 1,5 mètre de long, aux yeux noirs et dont la bouche semble figée dans un sourire est resté invisible.
Les autorités mexicaines assurent avoir fait des progrès pour sauver le vaquita marina et le totoaba depuis que le président Enrique Peña Nieto a imposé en avril 2015 une interdiction des filets dérivants sur 13.000 kilomètres carrés pendant deux ans, multipliant ainsi par dix la surface de la zone protégée.
Un navire patrouilleur de la Marine, une douzaine de petits bateaux rapides, un hélicoptère et deux avions patrouillent la zone pour empêcher le braconnage.
Depuis l'introduction de ces mesures, les autorités indiquent avoir détenu 80 personnes et saisi plus de 100 bateaux. Entre 350 et 500 filets par an sont désormais repêchés, qui par leur taille - 3 à 10 fois un terrain de football - piègent aussi dauphins, tortues et lions de mer.
"Il y a moins de pêche illégale" qu'auparavant, affirme Joel Gonzalez Moreno, directeur des inspections auprès des autorités judiciaires fédérales, un avis partagé par Oona Isabelle Layolle, capitaine de l'un des navires de l'ONG Sea Shepherd, selon qui le braconnage ne se déroule plus que la nuit.
Le gouvernement mexicain espère une augmentation annuelle de 4% de la population du vaquita marina. Une équipe scientifique en a repéré 25 en octobre, mais deux ont été retrouvés morts en mars.
- En stock mais caché -
Selon Gonzalez Moreno, la Chine a commencé en janvier à reconnaître le problème de la pêche illégale du totoaba, un poisson qui peut atteindre deux mètres de long et peser jusqu'à une centaine de kilogrammes.
A Hong Kong, un journaliste de l'AFP a trouvé une boutique proposant des vessies natatoires séchées de totoaba dans les rues animées du quartier de Sheung Wan, où les vendeurs se gardent toutefois de l'exposer.
Une vendeuse montre la photo d'une vessie coûtant plusieurs dizaines de milliers de dollars, mais exige un premier dépôt pour livrer la marchandise. "Nous l'avons en stock mais cela prendra quelques jours pour l'apporter", indique-t-elle.
Un autre vendeur affirme que des boutiques en ont en réserve mais cachent le produit depuis que les autorités chinoises ont renforcé l'interdiction. "Des gens ont reçu des amendes. (...) Je ne prends pas le risque" explique-t-il.
Consommée en soupe, la vessie séchée est supposée guérir toutes sortes de maladies, allant de l'arthrite aux problèmes de grossesses, et permettrait de regonfler la peau grâce à son taux élevé de collagène.
Chaque vessie de totoaba est vendue entre 1.500 et 1.800 dollars au Mexique, prix qui grimpe jusqu'à 5.000 dollars aux Etats-Unis pour atteindre entre 10.000 et 20.000 dollars pièce en Asie, selon les autorités américaines.
Les acheteurs sont chinois ou américains d'origine chinoise.
En 2014, un habitant de Californie en possession de plus de 200 vessies, d'une valeur marchande d'environ 3.6 millions de dollars, a été condamné à un an de prison.
Pour Sunshine Antonio Rodriguez Pena, président de la coopérative de pêche de San Felipe, la solution serait de légaliser la pêche du totoaba en instaurant des quotas et en créant ainsi un marché légal pour les clients asiatiques.
Rodriguez a négocié une indemnité pour les 1.200 pêcheurs de la région qui reçoivent chacun entre 750 pesos (38 euros) et 2.130 pesos (108 euros) mensuels du gouvernement pour renoncer à quasiment toute leur activité de pêche.
Il estime que c'est une "insulte" d'accuser les pêcheurs de la disparition du vaquita marina alors que la pollution et la nature pourraient aussi être tenus pour responsables, selon lui. "Mais c'est notre engagement en tant que Mexicains (...) d'essayer de sauver" ce poisson, dit-il.
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